Aller au contenu
Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !

Recommended Posts

Publié le
Il y a 1 heure, Alx a dit :

Mais en close-up, le spectateur a explicitement le droit de participer (c'est même ce qu'on attend de lui : pensez à une carte, prêtez-moi votre bague, gardez cette balle dans votre main...). Il fait partie du spectacle, dans une relation d'égal à égal, et par conséquent, peut avoir le sentiment d'une certaine légitimité : les conventions ne sont pas les mêmes qu'au théâtre.

Le close-up à une relation étroite entre l'interprète, le spectateur et l'acte magique.

Cela peut donner au spectateur une sensation de liberté, et c'est bien.

Mais je crois que cette liberté ne devrait être qu'ilusoire.

C'est d'ailleurs une des difficultés du close-up :

Laisser croire au spectateur qu'il jouis d'une liberté, alors que le magicien reste toujours parfaitement maître du déroulement du spectacle.

Quand Peter parle "d'autorisation" d'agir donnée au spectateur, pour moi, cela recouvre plusieurs aspects.

Le contexte.

C'est au magicien de poser les limites de l'intervention du public.

Le public en général, ne deviens pénible que si on ne lui a pas indiqué son rôle. Et c'est à l'interprète de le faire, parfois explicitement (voir toutes les répliques classiques pour maîtriser une interaction qui dérive...)

Le personnage.

Le personnage peut être une personne plus ou moins "contestable", c'est à dire qu'on peut mettre en doute ce qu'il dit.

Cela d'ailleurs n'a pas à voir avec le type de personnage, à mon sens, mais avec la force du personnage.

Un personnage peut être sympathique ou intimidant, s'il est "fort", s'il a de la présence, il ne sera pas contesté.

Le rythme.

On peut jouer sur le rythme, pour laisser la parole, ou pas, aux spectateurs. Si on soupçonne une intervention pouvant être nocive au numéro, on peut anticiper en changeant le rythme.

L'adresse.

En s'adressant à un spectateur plutôt qu'a un autre, on lui passe carrément la parole. Et on va mettre au second plan un autre spectateur plus dissipé.

La syntaxe.

Quand on laisse la parole à un spectateur, on peut orienter le type de réponse que l'on attend grâce à la syntaxe de notre passage de parole (réponse ouverte, fermée, rhétorique, donnant lieu à une réplique rigolote...)

Le rebond.

Un spectateur s'exprime alors qu'on ne le souhaitais pas : on va rebondir sur ce qu'il exprime, pour reprendre la parole. Ainsi, le spectateur se sent écouté, puisqu'on répond à son interruption, mais on redirige l'action vers ce qui nous intéresse.  C'est parfois plus efficace que d'ignorer l'interrupteur...

Par exemple, et pour revenir à la question précise du titre :

"Y'a un truc"

Bien sûr, il y a un truc! D'ailleurs, je vais vous montrer... (Rebond)

Et on s'embarque alors dans un tour de fausse explication (qui n'a pas besoin d'avoir un rapport avec le tour précédant... "Je vais vous monter sous un autre angle..."), avec un rythme ne permettant pas d'autres interruption avant un temps significatif (rythme+durée).

On y fera intervenir une autre personne (adresse), et on reviendra à la fin vers celui qui a fait l'interruption, pour lui demander s'il a mieux compris (syntaxe, et rebond sur la réponse avec une réplique rigolote)

A l'inverse, on peut se servir de ce "y'a un truc" comme dynamiseur d'attention :

"Un truc? Non, pas besoin... Tenez, cette fois, je ne touche à rien, regardez..."

et on part sur un tour sans manip apparente...

On aura toute l'attention désirée.

Attention toutefois a ne pas transformer celà en défi.

Pour cela, on peut par exemple miser sur le ton (on ne veux pas convaincre, on donne juste une précision, on n'a rien à cacher...)

La désinvolture est une bonne méthode...

On peut aussi entrer dans la pédagogie :

"Un truc? Pourquoi faire? Ce que vous ne savez pas, c'est que la magie que vous croyez voir dans mes mains, elle n'existe que dans votre esprit... Et pour manipuler votre esprit, je ne me sert pas de "trucs", c'est un peu plus subtil que ça..."

Etc.

A tous ces niveau, il y a deux choses importantes :

La préparation.

Il faut être préparé, avoir imaginé à l'avance les réactions, y avoir trouvé des remèdes réfléchis (les premiers qui nous passent par l'esprit ne sont pas les seuls possibles, et ne sont pas forcément les plus efficaces..)

Même si on n'est jamais prêt pour tout ce qui tournera mal, se préparer n'est pas du temps perdu.

L'écoute.

Durant la prestation, il faut être présent et attentif.

Mentalement présent, je veux dire.

On n'est pas dans notre tour, notre texte, notre manip... Ces choses là devraient couler sans notre intervention (ou en tout cas, sans que celà n'absorbe notre conscience)

Être attentif à ce qui se passe avec les spectateurs, c'est essentiel (et pas qu'en close-up...), cela permet d'anticiper, de réagir, de s'adapter.

Et participe au rendu pour le public :

On voit tout de suite quand un artiste est "avec nous", ou en train de penser à autre chose...

Une autre composante, c'est l'expérience.

Que Peter ou d'autres magiciens n'aient pas de problème, ce n'est pas étonnant : ils maîtrisent le métier, et tout est mis en œuvre pour que ca se passe bien, sans que le spectateur ne se rende compte de tous le travail en amont...

Bon, l'expérience, c'est aussi quand on a une situation qui nous a échappé, et qu'on se donne les moyens à postériori pour que ca ne se reproduise pas.

C'est le métier qui rentre... 🤯😉

Gilbus

 

  • J'aime 3

Quand le magicien montre la lune avec son doigt, le public regarde le doigt...

Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !
Publié le
il y a 1 minute, Gilbus a dit :

Le public en général, ne deviens pénible que si on ne lui a pas indiqué son rôle.

Je pense que c'est également une question d'éducation et de respect.

Faiseur de trucs et de bidules.

Publié le
il y a 9 minutes, Antony RBLLR a dit :

Je pense que c'est également une question d'éducation et de respect.

Tu as tout à fait raison!

J'ai assisté à un spectacle (chants et danse, par des pros) sur l'ile de Jersey, et tous les Français de l'assistance avaient été stupéfaits  de l'attitude du public locale (ce n'était pas un spectacle"pour touristes"...) : les gens discutaient dans la salle, des enfants couraient partout, et peu de monde en fait, faisait attention au spectacle...

Il y à des contextes ou des cultures qui peuvent nous surprendre ou nous choquer...

Gilbus

Quand le magicien montre la lune avec son doigt, le public regarde le doigt...

Publié le
Il y a 1 heure, Gilbus a dit :

Le close-up à une relation étroite entre l'interprète, le spectateur et l'acte magique.

Cela peut donner au spectateur une sensation de liberté, et c'est bien.

Mais je crois que cette liberté ne devrait être qu'ilusoire.

C'est d'ailleurs une des difficultés du close-up :

Laisser croire au spectateur qu'il jouis d'une liberté, alors que le magicien reste toujours parfaitement maître du déroulement du spectacle.

Quand Peter parle "d'autorisation" d'agir donnée au spectateur, pour moi, cela recouvre plusieurs aspects.

Je suis tout à fait d'accord, et je te remercie pour cette liste synthétique des trucs qui permettent de garder la main pendant une représentation en close-up  (en fait, les vrais trucs des magiciens ne sont pas ceux que les spectateurs imaginent 😉) .

Note bien que la plupart des gens, s'ils ont un minimum d'éducation et/ou s'ils n'en sont pas à leur quatrième verre, ne vont pas interrompre le tour : ma remarque concernait surtout les réactions après coup.

Mais ton intervention va bien dans le même sens que la mienne : la simple existence de ces astuces démontre bien que la situation existe. En close-up, le spectateur n'hésite pas à intervenir, sans malveillance, mais parce qu'il se sent partie prenante de l'expérience.

C'est pourquoi Peter a raison de dire que son approche et la mienne sont différentes : je persiste à penser (à tort, peut-être) que le contexte étant différent, le public l'est aussi. Ca viendra sans doute avec les années (ou avec le talent, comme disait Sarah Bernhardt)

L'important, c'est que ça valide !

Publié le

Oui, c'est à cette anecdote que je faisais allusion : Sarah Bernhardt a souffert du trac toute sa vie. Un jour, avant une représentation, une jeune actrice s'en est étonnée et lui a dit "C'est curieux, moi, je n'ai jamais le trac". Et elle lui aurait répondu : "Ne vous inquiétez pas, mon petit, ça viendra avec le talent"

Pardon pour cette parenthèse historico-culturelle, vous pouvez reprendre le débat 🙂

  • J'aime 2
  • Haha 2

L'important, c'est que ça valide !

  • 6 months plus tard...
  • 2 months plus tard...
Publié le
Le 13/08/2020 à 04:08, Peter DIN a dit :

En ce qui me concerne, lorsqu’un spectateur me dit « bravo, je n’ai rien compris », je pense instantanément : « Tiens aujourd’hui, j’ai travaillé comme un sabot ! ». Car si j’avais été bon, le spectateur n’aurait même pas eu l’idée de comprendre ou d’essayer de le faire, je l’aurai embarqué dans mon univers.

C'est exactement la même attitude que celle du grand magicien allemand, Punx.

Propriétaire de I Saw That! Exclusive Magic, éditeur de RencontresSub Rosa, Reading Writing, Card Stories, Performing Magic for Children et autres livres de qualité.

Publié le

Il y a à mon sens  2 pistes pour éviter cette remarque :

 

-          Soit tu deviens un comédien qui fait de la magie. Tu crée un personnage, une ambiance, un thème. Il devient alors évident que la pièce que tu joues est plus importante que la technicité de ta magie.

Un bon exemple est Eric Antoine. Après un de ses sketches, j'imagine mal que le "il y a un truc" soit prononcé par quelqu'un...

Mais c’est très difficile. Il faut savoir être comédien, écrire ses pièces…

 

-          Soit éviter de se prendre, même sans le savoir, trop au sérieux. Beaucoup de magiciens peuvent donner l’impression d’affirmer être de véritables magiciens, d’affirmer que la carte a véritablement changé de couleur, qu’ils peuvent réellement réparer une corde coupée, qu'ils sont capables de faire des choses que le spectateur, lui, ne peut pas faire. Cela peut même devenir une démonstration de dextérité exceptionnelle.

Or, ce genre d’attitude (volontaire ou involontaire) peut créer une forme de défiance du public.

A mon sens, il vaut mieux dire que « nous sommes là pour jouer ensemble à créer des illusions ».

Et si on te dit  « il y a un truc… », répondre « Bien sûr que oui 😊 si non, ce serait trop facile ! ».

Ou « Bien sûr, je suis membre du syndicat des marchands de rêves. Je vends du rêve éveillé ! ».

 

Je crois que très souvent le problème est lié au fait que, même inconsciemment, nous nous comportons comme si nous affirmions avoir de véritables pouvoirs, même si ce n’est pas ce que nous voulons faire croire au public !

Je pense (avis personnelle) que cela provient du profil des magiciens. A mon sens, souvent, les gens qui pratiquent de la magie sont fondamentalement animés par le désir d’impressionner plutôt que de produire une œuvre artistique comme peuvent le faire les comédiens, les chanteurs, etc.

Raison pour laquelle on voit souvent des questions du style « que faire si je n’ai pas mon jeu truqué et qu’on me demande de faire un tour qui le nécessite ? » « que faire si on me demande de recommencer un tour que je ne peux pas recommencer ? », et même « que faire si on me demande un tour que je ne sais pas faire ? ».

Publié le

Une autre réflexion : je pense de plus en plus que la magie, comme les autres arts, n'est fondamentalement pas faite pour être produite en famille ou auprès d'amis.

D'abord, ce sont des conditions informelles produisant des comportements très informels que n'aurait pas un public d'étrangers.

Ensuite, il est difficile de changer de personnalité (au niveau langage verbal et non verbal) en présence de la famille et d'amis.

Or, la très grande majorité d'entre-nous ne faisons des tours qu'à nos proches. Il est alors difficile de produire une œuvre artistique et de ne pas être qu'un simple démonstrateurs de tours suscitant des réflexions comme "il y a un truc !"

  • J'aime 1

Rejoins la conversation !

Tu peux publier maintenant et t'enregistrer plus tard. Si tu as un compte, connecte-toi maintenant pour publier avec ton identité.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Vous avez collé du contenu avec mise en forme.   Restaurer la mise en forme

  Only 75 emoji are allowed.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédemment saisis, a été restauré..   Effacer le contenu

×   You cannot paste images directly. Upload or insert images from URL.



  • Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !
  • Messages

    • Je reviens au sujet du livre, car c'est ce que j'ai choisi comme lecture récréative pour les vacances. La citation de Pierre Etaix sur la 4e de couverture a failli me faire passer pour un intellectuel auprès de mes beaux-parents (chez qui je passe une partie desdites vacances) parce qu'ils sont très... "Télérama". Mais j'ai senti à la tête de belle-Maman quand elle a vu la couverture (pourtant dudit Pierre Etaix) et à l'attitude de beau-Papa quand il a feuilleté le livre que leur furtif espoir de s'être trompés sur le compte du zigoto choisi par leur fille pour leur faire des petits-enfants avait encore été déçu.  J'en suis à la page 183, ça se lit agréablement. C'est étonnamment bien écrit pour quelqu'un qui a appris le français en écoutant Coluche. Je me suis marré plusieurs fois à voix haute et j'ai été étonné d'y trouver quelques remarques qui m'ont fait réfléchir sur la construction d'un numéro (dans le chapitre consacré au Champion de l'élégance). Par contre, je ne regarderai plus jamais les saucisses de Strasbourg de la même manière.  Une remarque négative, cependant, à @Otto WESSELY : pourquoi ne pas avoir mis la photo de la page 174 EN COULEURS, vu que tu dis qu'elle est belle en couleurs ?! Quelle frustration ! (Les autres, je vous entends penser "Frustration totale !", je lis dans vos pensées, je suis le plus grand des mentalistes). Je la trouve super, j'aimerais l'avoir en haute résolution pour l'imprimer en poster. Merci d'avance. Bisous. Un admirateur  (Je n'ai pas le courage de me taper les 36 pages du sujet pour voir si la question de ladite photo a déjà été soulevée)
    • Et si l'on parle de "bouffée de l'humanité" : quelques portraits de la Fism à Rimini, là où l'humanité était encore plus palpable.... Qui me cite les noms ?   
    • Bonjour, Heureux si j'ai pu partager avec certains quelques unes des émotions ressenties pendant les six jours de cette FISM. À propos d'émotions, le numéro du 1er prix en magie de salon en débordait. (précision : lors de son second passage sur "Fool Us" le tout début de ce numéro a déjà été montré : si vous ne l'avez pas déjà vu...alors tant mieux, gardez-vous de le regarder, vous vous gâcheriez une partie du plaisir de la version intégrale) *** Asi WIND dans « Incredibly Human » ou Derren BROWN dans son dernier livre se posent la même question : pour que dans un spectacle vivant et interactif une émotion sincère puisse naître, il faut que surgisse une connexion authentique entre l’artiste et son public. Dès lors, comment concilier en magie cette authenticité de la relation humaine avec un art qui est, lui, tout entier tourné vers l’artifice ? Ce jeudi 17 juillet à TURIN au matin, lors de la compétition de magie de salon, Mortenn CHRISTIANSEN a à sa manière si particulière fait surgir cette bouffée d’humanité dans un auditorium comble. *** Dès le départ tout est allé de travers pour le candidat danois Mortenn CHRISTIANSEN, appelé sur scène alors qu’il n’était absolument pas prêt. Mais alors pas prêt du tout, du tout, du tout. Le jeune homme bien portant boulottait des chips en douce dans les coulisses au moment d’entrer en scène, mais dans la précipitation, c’est la cata : sa main droite s’est coincée dans son tube de chips. Son désarroi est palpable. Pour tenter de sauver la mise de demander malgré tout une carte à un spectateur (Shawn FARQUHAR s’y colle, va pour le 4 de cœur) avant de s’apercevoir que son paquet de cartes est coincé dans la poche arrière droite de son pantalon -pas de bol, pile du côté de sa main bloquée dans le paquet de chips : au prix de moult contorsions Mortenn parvient à faire remonter peu à peu le paquet de cartes qui émerge de sa poche et finit par chuter sur scène. Il le ramasse de sa seule main libre -la gauche- sort les cartes et enchaine une série de piètres manipulations d’une main. Les maladresses succèdent aux maladresses, Mortenn peste, marmonne combien il n’était pas prêt, laisse lamentablement choir toujours plus de cartes, bref sa prestation tourne à l’embarras complet. Mais attendez, voilà que Mortenn ne tient plus qu’une seule carte, dos au public…se pourrait-il ? *** À cet instant la routine bascule : Mortenn fanfaronne : « Eh eh…vous avez cru que je n’étais pas prêt…et bien c’était pour de faux, j’étais prêt, archi-prêt… ». Qu’on se le tienne pour dit, on va voir ce qu’on va voir. Non pas bien sûr que quiconque dans la salle ait réellement cru à la farce de Mortenn pas prêt – même si cette séquence du pauvre garçon en prise aux pires coups du sort aura quand même suffit à susciter notre empathie immédiate envers lui-, mais nous voilà, nous dans la salle, passés en un clin d’œil de spectateurs à spect-acteurs, projetés dans le rôle qui nous est assigné : celui d’adultes face à un petit enfant trop content d’avoir roulé son monde dans la farine ; et nous allons, pour lui faire plaisir, faire comme si nous avions effectivement gobé la bonne blague de sa déroute feinte. Par sa personnalité scénique et sa mise en scène, ayé, le (vrai) tour est joué : le bras de fer potentiel public-magicien est illico désamorcé, nous consentons à entrer dans le monde de Mortenn, nous jouons à faire comme si nous avions vraiment cru qu’il était pris de court, et ainsi nous nous livrons pieds et poings liés au garnement. Mortenn est un enfant mais pas à la manière mettons d’un Rubi FEREZ- enfant lunaire, rayonnant et malicieux, qui s’émerveille de tout. Non, pour Mortenn le monde est vaste et compliqué ; puéril et hypersensible (donc hyper-attachant) il est en butte aux gens et aux choses qui le rendent bien, bien, malheureux. Et la magie est son salut. Et la vraie magie est que tout le reste de la routine va puiser sa justification précisément dans le personnage même de Mortenn CHRISTIANSEN, dans sa « revanche » face aux grandes personnes. *** Car à cet instant la routine bascule aussi en termes de nature d’effet magique : on va passer d’une démonstration burlesque d’habilité à retrouver une carte par des manipulations faussement maladroites, à un tout autre effet : une prédiction. Ou plutôt des prédictions. Les magiciens ont sans doute tendance à surestimer l’impact réel des effets de prédiction sur leur public, et, pour donner un semblant de construction dramatique à leur numéro, à multiplier les révélations sur le mode : « vous avez librement choisi le 4 de cœur…observez miracle ! C’est la seule carte à dos rouge dans ce paquet bleu… non seulement cela, mais j’ai aussi un 4 de cœur tatoué sur mon bras…et attendez un peu…une carte et une seule dans mon portefeuille le 4 de cœur… ». Le kicker jusqu’à plus soif. La surenchère de prédictions au lieu de décupler l’effet bien souvent l’amoindrit. On avait saisi le message dès la première prédiction révélée : ok le magicien a prévu l’avenir, quel besoin a-t-il donc de nous le « prouver » encore et encore ? L’insistance superflue éveille la suspicion : lors d’un spectacle vu il y a quelques temps j’entendis ainsi soupirer un spectateur au moment de la « trop parfaite » énième révélation : « Bon ok donc c’est le 4 de cœur tous les soirs... » (sic) (pages 46-47 de « Notes from a Fellow Traveler » D.BROWN explique la réécriture du final de son show « Enigma » suite à un exemple semblable d’accumulations d’effets redondants qui s’affaiblissaient mutuellement au lieu de créer la montée dramatique escomptée). Mortenn CHRISTIANSEN va réemployer cette structure « discutable » et lui aussi multiplier les prédictions de la carte choisie -au moins 5 de mémoire : alors pourquoi ici cela fonctionne-t-il si bien, jusqu’à déclencher une standing ovation ? Premièrement le choix initial est on ne peut plus convaincant, transparent : le spectateur nomme librement la première carte qui lui passe par la tête -le jeu n’est même pas encore sorti, et puis quelles manipulations possibles avec une main fourrée dans un paquet de chips ? Comme notre esprit rationnel est tranquillisé de ce côté-ci par une procédure rapide et limpide, il va se faire d’autant plus facilement submerger ensuite par notre esprit émotionnel. Car, deuxièmement, l’accumulation de révélations de prédictions de cette carte est motivée dramatiquement (et donc notre esprit rationnel le cède d’autant plus aisément à notre esprit émotionnel) : c’est juste le personnage immature de Mortenn qui piaffe ; il nous a bien eu, et vlan, vlan, vlan, prédiction après prédiction, le petit enfant jubile d’avoir joué un si bon tour à ces grands bêtas d’adultes. Et nous qui avions si volontiers consenti à entrer dans son jeu nous voilà refaits, désarçonnés face à une avalanche d’impossibilités grandissantes. Ici c’est donc du personnage que part la construction dramatique de la routine et sa multiplication des effets de prédictions. Et non pas d’un personnage de magicien surplombant qui pour accroitre son prestige, prédictions après prédictions, essaierait (vainement) d’étoffer le mystère ; mais bien d’un personnage enfantin qui a gagné notre sympathie et que l’on regarde tendrement trépigner d’avoir enfin le dessus sur les « grandes » personnes que nous sommes. Le martèlement des effets reflète la psychologie de Mortenn. D’un point de vue magique, la rafale de révélations sature notre esprit rationnel : à peine est-il parti en chasse d’un début d’explication potentielle d’une des prédictions qu’une autre surgit encore plus mystérieuse (on n’est pas ici face à un même effet strictement répété avec des méthodes différentes qui se protègent mutuellement - voir la carte ambitieuse dans "Le Chemin Maqique" de J.TAMARIZ- mais bien face à une même carte prédite de manières très variées). Le crescendo est assuré par l’animation puérile croissante du personnage trop content de nous avoir bien eus, par des prédictions de plus en plus incompréhensibles donc (variées aussi en échelle et supports), et enfin par une série d’effets annexes qui rythment l’emballement final du numéro et brisent l’enchainement de prédictions seules : production de deux verres de jus d’orange, une carte transformée en chips, une autre en écouteurs, et même un quick change mi-foiré - l’enfant Mortenn a mis sa chemise à l’envers. Et tout cela en harmonie avec le personnage :  on se souvient comment il avait au début joué sans ambages de sa morphologie pour péniblement extraire les cartes de son pantalon (d’ailleurs comme un callback il se dandinera une seconde fois au cours de la routine pour extraire une seule carte de son autre poche arrière), c’est cette sincérité-là vis-à-vis de ce qu’il est, physiquement et mentalement, qui fait qu’on se figure assez Mortenn se couper d’un monde compliqué pour lui avec ses écouteurs, en mangeant ses chips, parfois même peut-être essaye-t-il de socialiser en offrant des verres de jus d’orange sans voir qu’on rigole dans son dos de ce qu’il est mal fagoté. Tout un petit monde, toute une humanité simple, dans les pas dix minutes d’un « bête » tour de cartes. *** Plus tard ce même jour alors que j’évoque avec Shawn FARQUHAR son documentaire « Lost in the Shuffle » il soupire, soulagé : enfin quelqu’un qui lui parle d’autre chose que de ce satané 4 de cœur de la compétition du matin avec Mortenn CHRISTIANSEN. Il a visiblement été assailli toute la journée par des spectateurs persuadés de sa complicité avec le magicien danois – une complicité pourtant clairement interdite par le règlement du concours. Le 4 de cœur ?, me dit-il, c’est tout simplement la carte qui avait été choisie lors de sa propre victoire à la FISM en 2009.
  • Statistiques des membres

    • Total des membres
      8225
    • Maximum en ligne
      4524

    Membre le plus récent
    Claude MAUGUIT
    Inscription
  • Statistiques des forums

    • Total des sujets
      84k
    • Total des messages
      679k

×
×
  • Créer...