Aller au contenu
Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !

Recommended Posts

Publié le (modifié)

« Les nains et les géants » ou « Une entropie de la connaissance »

« Les Jours Noirs » d’Arturo de Ascanio est paru en France en 1997 (Édition Joker Deluxe) et j’ai eu depuis l’occasion de rencontrer plusieurs personnes m’ayant cité « cette fameuse phrase d’Ascanio » qu’ils avaient lue en page 96 de l’ouvrage. Comme cela arrive si souvent, leur mémoire avait réduit et déformé l’information originale exacte pour n’en conserver que le sens approximatif, tout en l’associant et la créditant par amalgame à l’auteur du livre lui-même. Ils n’en sont pas pour autant à blâmer car nous faisons tous exactement le même type de fausses références à longueurs de journée, tout d’abord simplement parce que la mémoire est quelque peu limitée et sélective, mais aussi parce qu’accéder aux véritables sources constitue un véritable travail d’investigation. Le goût de l’effort dans ce type de recherches étant malheureusement loin d’être répandu et les obstacles à surmonter nombreux pour ceux qui s’y risquent, cela entraîne ce que l’on pourrait appeler une véritable « entropie de la connaissance ».

Pour lutter contre cette perte de l’information, cette dégradation de l’état des savoirs, il est nécessaire que des organismes (comme la S.I.A.M. le fait -de façon encore embryonnaire- dans le monde des arts magiques) puissent aider quiconque dans sa recherche de sources par l’intermédiaire d’un réseau d’experts, de bibliothèques, de banques de données ou tout autre système référentiel utile. Ceci est indispensable si l’on ne veut pas que se détériore la mémoire de l’art magique qui est un véritable trésor au sens le plus noble du terme.

Pour ceux qui ne se sont pas encore rué sur la citation dont il est question au début de cet article, je la retranscris ici mot pour mot.

« Je fais mienne cette pensée de Newton :

J’ai pu voir plus loin que d’autres,

Car j’ai pris appui sur les épaules de géants ».

Effectivement, cette pensée révérencieuse est profonde, et elle semble encore magnifiée par l’illustre penseur qui en a la paternité, Sir Issac Newton lui-même ! Mais il conviendrait d’être prudent et se de référer au texte original car il n’est pas déraisonnable de supposer qu’Ascanio s’est servi d’une traduction en espagnol d’un texte anglais (ou peut-être latin ?), cette version d’Ascanio ayant été ensuite traduite à nouveau de l’espagnol au français pour l’édition chez Joker Deluxe (les lecteurs francophones peuvent d’ailleurs remercier Alain Midan et Laurent Vadel d’avoir effectué ce travail).

Carlos Vaquera, élève d’Ascanio et auteur de la préface des Jours Noirs nous propose dans le numéro 29 d’Imagik (page 13) une autre version de cette réflexion :

Comme disait Newton : « Je pouvais voir plus loin que les autres car j’étais perché sur les épaules de géants ! ».

Il y a déjà là matière à écrire toute une étude comparative de ces deux versions, tant de nuances s’exprimant au travers de l’idée de base - par ailleurs implicite et bien là - mais habillée de façon différente. Aucune revue magique actuelle n’accorderait la moindre place pour publier une étude de la sorte, mais on peut brièvement observer dans la « version Ascanio » une mise en page du texte et une découpe qui lui confèrent une forme poétique (un vers) ce qui n’est pas le cas de la « version Vaquera » qui est plus une assertion de type langage courant ou parlé (…comme «disait » Newton…). On pourrait disserter et épiloguer sur la nette distinction qui existe entre le fait de « prendre appui » sur les épaules de géants où d’y être carrément « perché ». Mais mon objectif est principalement de montrer comment très vite apparaissent le flou et le sentiment désagréables de ne pas avoir accès à la source réelle, impression que j’appelle dans un jargon qui m’est propre « un lourd sentiment d’incomplétude ».

Parmi les grands vulgarisateurs d’aujourd’hui de trouve un professeur de l’université de Harvard qui enseigne la géologie, la biologie et l’histoire des sciences. Chacun de ses recueils sur l’histoire naturelle est un best-seller tant ils sont stimulants pour l’esprit en renversant systématiquement de nombreuses idées reçues. Stephen Jay Gould, dont je ne peux que vous conseiller de dévorer la totalité des ouvrages afin d’exercer votre esprit critique et développer votre goût de remonter jusqu’aux sources premières, vous démontrera comment souvent il arrive qu’un document ou une source originale peut révéler des informations qui vont très exactement à l’opposé de ce que l’on croyait en connaître avant de les consulter.

En Mai 2000, Gould publia aux éditions Seuil « Les quatre antilopes de l’Apocalypse ». Il est question au chapitre 7 des « redécouvertes qui ne se savent pas comme telles ». De nombreux magiciens qui me lisent comprennent là parfaitement de quoi il est question, et je ne peux m’empêcher de citer la suite tant elle s’applique à merveille à votre domaine artistique :

« (…) cela concerne des cas où des personnes, tout à la joie d’avoir personnellement compris quelque chose de nouveau, pensent qu’elles viennent de deviner une vérité pour la toute première fois, alors qu’elle était déjà connue auparavant ».

Ce qui va nous intéresser dans ce chapitre, c’est qu’il y est question d’un livre de Robert K. Merton «On The Shouldiers of the Giants » (« Sur les épaules des géants ») dont l’un des thèmes est « constitué par une recherche délicieusement baroque à travers l’histoire (…) » afin de retrouver l’origine d’une citation généralement attribuée à Isaac Newton (d’après une lettre qu’il a écrite à Robert Hooke) :

« Si j’ai vu plus loin, c’est que je me suis tenu sur les épaules des géants ».

Gould dit : « Comme le montre Merton, Newton n’avait pas prétendu en écrivant cette phrase, faire œuvre de créateur. Il avait simplement répété une formule généralement regardée comme faisant partie du domaine public, au point qu’il n’était pas nécessaire de lui adjoindre des guillemets ».

Passons sur cette troisième ( !) formulation et essayons de tenir pied face à cette mise en abîme historique dans laquelle nous plonge cette seule recherche d’antériorité !

Je n’ai pas lu le livre de Merton, mais je sais que ce dernier est remonté jusqu’à 1126 pour retrouver l’origine de cette citation. J’ai eu cependant accès à la même source moyenâgeuse d’une façon totalement indirecte. Mon frère, qui consacre presque tous ses week-end depuis une trentaine d’années à la montagne, recueille systématiquement par écrit ses réflexions sur chacune de ses sorties. Également grand amateur de littérature devant l’éternel, il note régulièrement dans ses cahiers les pensées tirées au hasard de ses lectures ayant trait - de près ou de loin - à l’idée qu’il se fait de la montagne, de l’effort, et de sa philosophie de la vie. Dans le dernier recueil qu’il vient d’achever, j’ai eu la joie de découvrir ce qui me semble être la formulation la plus limpide de cette vieille citation. Je vais retranscrire ici mot pour mot cette version qui ne contient pas ce sens ambivalent que Gould appelle un peu ironiquement « une métaphore de la modestie… ou de la fausse modestie » ! (Relisez les autres ci-dessus pour constater qu’effectivement, elles cachent mal une véritable petite part d’orgueil dans leur forme tronquée).

« Nous sommes comme des nains montés sur les épaules de géants, si bien que nous pouvons voir plus de choses qu’eux et plus loin qu’eux, non que notre vision soit plus perçante ou notre taille plus haute, mais parce que nous sommes transportés et élevés plus haut grâce à leur taille ».

Bernard de Chartres (XIIème siècle)

Mes remerciements à Fabienne Gambrelle qui a fait des recherches à la Bibliothèque Nationale sur Bernard de Chartres, ainsi qu’à mon frère Michel.

Enfin, une pensée vraiment émue pour Stephen Jay Gould qui a disparu depuis peu, et qui me manque terriblement.

Christian GIRARD

Modifié par Thomas THIEBAUT
  • J'aime 4
Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !
Publié le

merci M. girard pour cette reflexion, et ce texte, qui je crois interpellera bien des magiciens autant qu'il m'a interpellé...

Il existe une expression consacrée dans ce forum, je l'emploie donc:

pourquoi ne pas publier cet article dans les pages permanentes du forum ? Il serait dommage qu'un tel texte disparaisse dans les abîmes du forum

je n'ai point d'autre commentaire que : "tout est dit..."

amicalement

Alex

  • J'aime 1
Publié le

Finalement, je me permet d'ajouter que je connaissait la formule de newton, et que je trouvait déjà amusant d'en voir une référence sur une pochette d'un britpop band à l'égo surdimensionné...la mise en prespective que vous offrez de donne vraiment le vertige.

  • J'aime 1
Publié le

Merci Christian pour ce post très intéressant.

Dans la dernière formulation que tu proposes il y ce qu'on appelle une ambiguité phonologique. On utilise ce genre de procédés en Hypnose pour générer de la confusion et inciter l'inconscient à choisir le sens qui lui convient le mieux.

Citation:

Nous sommes comme des nains montés sur les épaules de géants, si bien que nous pouvons voir plus de choses qu’eux et plus loin qu’eux

Cela s'applique-t-il aux géants ?.. Un nain perché sur les épaules d'un géant voit plus loin que ceux qui n'y sont pas, mais il voit également plus loin que le géant lui même !.. Intéressant.

La représentation mentale de soi comme un nain face à l'autre que l'on voit comme un géant est un phénomène de transe. C'est une hallucination, une distorsion sensorielle. Cela est bien souvent handicapant. En effet, si je me définis comme un nain... comment puis-je espérer devenir un géant ? Les nains ne grandissent pas.

Cette une phrase qui a un certain sens esthétique du point de vue littéraire mais que je trouve parfaitement inadaptée sur le plan psychologique. Pour moi il n'y a ni nains ni géants. Et il existe des manières plus efficaces, moins enfermantes, de rendre hommage au travail de l'autre sans se diminuer soi même.

Fred

Publié le

Merci, Christian, de nous faire rêver. Je sais pas si t’as eu le plaisir de lire le bouquin que le philosophe Bruno Latour a consacré à Louis Pasteur, mais je crois que dans son optique, on aurait plutôt tendence à dire : « Bien que je sois nain, on me voit de loin parce que je suis monté (ou parce que j'ai su monter) sur les épaules des géants »…

  • Merci 1
Publié le (modifié)

Alex : « Merci M. Girard pour cette réflexion, et ce texte, qui je crois interpellera bien des magiciens autant qu'il m'a interpellé...»

CG : Très heureux que mon texte et ma petite réflexion vous aient interpellé. Remercions aussi Thomas et son très intéressant site Virtualmagie car il n’y a guère que ce type de « magazine numérique » qui puisse accueillir des articles comme celui ci-dessus. Quand à l’écho qu’il a pu susciter, je suis plus que satisfait d’avoir pu lire cinq réactions de VMistes de qualité qui à mes yeux valent plus que 60 interventions sans intérêt. Plusieurs messages privés et discussions informelles m’ont laissé comprendre que d’autres également ont trouvé à sa lecture quelque satisfaction personnelle.

Alex : « Il existe une expression consacrée dans ce forum, je l'emploie donc: pourquoi ne pas publier cet article dans les pages permanentes du forum ? Il serait dommage qu'un tel texte disparaisse dans les abîmes du forum».

CG : Pourquoi pas. Mais c’est l'éditeur de ce webzine qui prend ce genre de décision… Ceci dit, on ne disparaît jamais définitivement dans les abîmes d’un forum. La preuve !

Profmago : «Qui marche sur les pieds d'un géant... risque d'en prendre plein les dents »

CG : Sans oublier la suite « Mais qui marche sur un nain... se trouve dans un jardin ! ».

Fred : « (…) si je me définis comme un nain... comment puis-je espérer devenir un géant ? »

CG : On a moult exemples métaphoriques ou le plus petit arrive à vaincre celui qui semble a priori le plus fort : Jack et le haricot magique, le petit Poucet, David contre Goliath, et aujourd’hui encore nous avons sur grand écran le récit de Tolkien où ce sont bien les plus petits qui jouent un rôle majeur dans l’avenir du monde.

« La représentation mentale de soi comme un nain face à l'autre que l'on voit comme un géant » est une approche psychologique qui s’éclaire d’un jour nouveau s’il s’agit d’un nain parvenant, au-delà de son apparent handicap, à surclasser les géants, non ?

Ceci dit, la citation de Bernard de Chartre est explicite. Il est dit : « « Nous sommes COMME des nains… », et non pas « Nous SOMMES des nains… », ce qui témoigne de la portée disons purement allégorique de sa proposition.

BEYREVRA : « Le géant perché sur les épaules du nain, verra plus loin que le nain, mais ira moins loin que le nain perché sur les épaules d'un géant. Je vous laisse réfléchir... »

CG : J’ai réfléchi : mais alors, à quand le lancer de géant comme discipline olympique ?...

Graham : « Merci, Christian, de nous faire rêver. Je ne sais pas si tu as eu le plaisir de lire le bouquin que le philosophe Bruno Latour a consacré à Louis Pasteur (…) »

CG : Hello Graham ! On n’arrête plus de se croiser tous les deux ! Journée du CMP, Pizzamagicos, conférence Crimet à l’académie de magie, et maintenant sur VM…

Pour ce qui est de Latour, je te renvoie à « Impostures intellectuelles » de Alan Sokal et Jean Bricmont (Éditions Odile Jacob), ouvrage dans lequel les auteurs ont analysé les textes de certains courants intellectuels « postmodernes » traitant « les sciences comme des narrations ou des constructions sociales parmi d’autres », et ont démontré « les mystifications physico-mathématiques » d’individus jouissant par ailleurs d’une grande notoriété (Lacan, Baudrillard, Deleuze, Guattari et autres Kristeva). Le chapitre 5 est entièrement consacré à Bruno Latour ! Il y est montré que « L’analyse de Latour est fondamentalement viciée par son manque de compréhension de la théorie qu’Einstein essaye d’expliquer » et qu’il « confond un énoncé pédagogique de la relativité avec le « contenu technique » de la théorie ».

Le mieux est de lire le bouquin qui plaira assurément aux rares zététiciens qui ne l’auraient pas encore lu, et fera peut-être réfléchir quelques autres mentalistes…

Il contient le fameux article de Sokal intitulé « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique » qui fut publié originellement dans « Social Text » et qui était un monumental canular destiné à « s’attaquer, par la satyre, à l’usage intempestif de terminologie scientifique et aux extrapolations abusives des sciences exactes aux sciences humaines ». Il voulait (je cite encore) «dénoncer le relativisme postmoderne pour lequel l’objectivité est une simple convention sociale ».

Houlala ! Si l’on parle d’objectivité, je sens que Fred va bondir sur son clavier…

En remerciant encore les intervenants ci-dessus,

Christian GIRARD

Modifié par Thomas
  • J'aime 1
  • 9 années plus tard...
Publié le
merci M. girard pour cette reflexion,

je n'ai point d'autre commentaire que : "tout est dit..."

+1

JaB

~~~~~~~~~~

Le monde n'est pas ce que vous croyez, voyez, sentez, touchez, entendez .. !

1/Si temps R. (temps du réel) = V. (temps du virtuel) =/ R. (temps du réel),

2/ Alors temps RV. ?(temps de la réalité virtuelle) = V.=R.

3/ Et temps RA. (temps de la réalité augmentée) = [(RV. * RV.)*w.] / T.

L'illusion est parfaite !

Réveillez-vous,.. éveillez votre entourage...

RêveSolutions.. !

http://expositions.bnf.fr/utopie/index.htm

Si l’utopie traduisait l’impossible, la vie, l'humain n'existeraient pas.

  • Merci 1
  • 10 months plus tard...
Invité Dix heures dix
Publié le

Bonsoir,

Je me joins aux remerciements à propos de ce sujet.

Je viens de tomber sur une version de cette citation et suis revenu ici, histoire de les comparer. La traduction que j'ai lue étant légèrement différente de la version sus-citée, je me suis dit qu'elle pourrait vous intéresser:

"Bernard de Chartres, d'orientation platonicienne, écrit: «Nous sommes des nains montés sur les épaules de géants; nous voyons plus qu'eux, et plus loin; ce n'est pas tellement que notre regard soit perçant, ni élevée notre taille; mais leur stature gigantesque nous élève, nous exhausse. »"

FAIVRE Antoine, Accès de l'ésotérisme occidental, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1986, pp.84,85.

Une page wikipédia est d'ailleurs consacrée à cette citation:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_%C3%A9paules_de_g%C3%A9ants

Il y a encore une autre traduction sur la page de Bernard de Chartres:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_de_Chartres

Rejoins la conversation !

Tu peux publier maintenant et t'enregistrer plus tard. Si tu as un compte, connecte-toi maintenant pour publier avec ton identité.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Vous avez collé du contenu avec mise en forme.   Restaurer la mise en forme

  Only 75 emoji are allowed.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédemment saisis, a été restauré..   Effacer le contenu

×   You cannot paste images directly. Upload or insert images from URL.



  • Pas de pub non magique pour les membres du Cercle VM. Clique ici pour en savoir plus !
  • Messages

    • Bonjour, Plus frappant peut-être était surtout l'hommage final à René LAVAND, et ses trois boulettes de mie de pain dans la tasse, exécuté ici à quatre mains...ou plutôt à deux mains sur quatre - Rubi FEREZ étant la main droite et Fernando NADAL la gauche ; et sans récitation de poème non plus mais en musique. Le duo FEREZ-NADAL fonctionne ceci dit à l'opposé de celui de Pepe CARROLL et Juan TAMARIZ - si je m'en réfère à leurs apparitions dans la série Magia Potagia. *** Pour Pepe CARROLL et Juan TAMARIZ la dramaturgie du numéro se nouait généralement sur une mise en compétition entre eux, se lançant des défis mutuellement, essayant de surpasser l'autre ; ou, parfois, le fantasque et farceur Juan TAMARIZ tendant un "piège" dans le dos de l'élégant et suave  Pepe CARROLL -modifiant par exemple avec un clin d’œil au public l'ordre de certaines cartes, ou mélangeant carrément le paquet à son insu. Mais immanquablement Pepe CARROL retombait sur ses pieds, comme si de rien n'était, l'embuche tendue par J.TAMARIZ effacée par magie... Dans ce dispositif-ci,  l'intérêt est que ce conflit narratif "extérieur" entre les deux magiciens agit à la manière d'une couverture pour leur collusion secrète bien réelle : le mélange de l'un destiné à compliquer la tâche de l'autre - récit apparent- a en réalité bien l'objectif par exemple d’amener secrètement l'arrangement voulu sur le dessus du paquet, arrangement qui permettra justement au second magicien de "briller" en dépit de l’apparente traitrise du mélange du paquet par le premier ( voir l'introduction du classique  "Magic and Showmanship" de H.NELMS pour un autre exemple de  conflit narratif apparent  comme couverture du modus operandi réel de l'effet, par complicité secrète entre les deux adversaires déclarés du récit). *** Le duo FEREZ-NADAL, lui, est soudé pour produire l'effet magique, soudé littéralement bien souvent, épaule contre épaule. La séquence intermédiaire du numéro à une main chacun sur la guitare, et à une main chacun sur la table pour y produire l'effet magique, illustre cette complète coopération. S'il y a bien une dynamique de (léger) conflit entre les deux personnages elle n'est pas sur la table mais sur leurs visages avec deux leitmotiv : les lunettes de Fernando ne cesse de lui glisser sur le bout du nez et c'est Rubi qui les lui remonte en place. Ce simple geste pose les deux personnages : Fernando est le "sérieux" du duo, soucieux des apparences, et Rubi est l’affectueux, le bienveillant. Fernando, par souci des convenances, ne cesse d'arracher un cure-dent d’entre les dents de Rubi, et le cure-dent malicieusement fait perpétuellement sa réapparition dans la bouche de Rubi. Mais aucune provocation de l'un par rapport à l'autre ici, non, c’est juste que Rubi est l'enfantin des deux -et son cure-dent, et bien, il ne peut juste pas s'en empêcher c'est tout. Avec son visage ovale illuminé de son franc sourire, ou même lorsqu'il fait fait son mystérieux - tel un petit enfant qui aurait caché un objet dans sa main et nous lancerait "Devine !"-, Rubi FEREZ a un charisme tel qu'il désamorce instantanément tout bras de fer magicien-public quant au secret : la magie advient, tout simplement. *** À noter qu'il y avait un autre duo en compétition de micro-magie, les suisses Omini et Nico qui ont vendredi matin fait l'ouverture de la 3e et dernière session de la compétition close-up/magie de salon, avec un numéro extrêmement soigné, bien construit, où des balles éponges vertes sont des virus qui se multiplient et infectent un des magiciens : bâtonnets de test dans la narine, thermomètre, masque sanitaire, tous les accessoires employés sont parfaitement justifiés, la progression dramatique comme la maladie passe de l'un à l'autre très claire. Le thème choisi qui ne rappelle  guère de bons souvenirs à quiconque les a-t-il desservi ? Sans doute, mais plus globalement il parait assez net que ce jury était sur une ligne "la magie avant tout", et s'est montré globalement très peu sensible à toute mise en contexte narrative de la magie* du moins c'est comme cela que je le perçois (seul au palmarès Starman et son numéro de dépressif après une rupture amoureuse peut être vu comme une légère exception)  (je m'en vais relire à ce sujet la section de L'Arc en Ciel Magique où J.TAMARIZ analyse longuement le mélange magie et narration). *C'est cette même ligne très arrêtée du jury qui a sans doute, comme pour Omini et Nico, compliqué la tâche aux numéros de Air One, Bertrand MORA et Robin DEVILLE puisque chacun à leur manière assumait des partis pris narratifs justement très marqués, assortis d'un travail sur les personnages et sur le conflit dramatique qui en découle. Je repense à l'excellent "Conspirations" spectacle de mentalisme donné la saison dernière au LUCERNAIRE et qui proposait par sa mise en scène astucieuse, levant et rabaissant virtuellement l'invisible 4e mur au gré des effets, comment une magie fortement théâtralisée est possible. Chauvinisme en passant : au contraire des délégations italienne, allemande, bulgare ou autrichienne (olalala l'Autriche pitié) qui nous ont toutes infligés au moins un numéro irregardable, tous les candidats français en magie de salon et close-up qu'on en ait apprécié ou pas le  résultat final, leur parti-pris artistique, leurs effets magiques, témoignaient d'un travail de mise en scène, sans doute perfectible, mais avec au moins à chaque fois une recherche de quelque chose. On ne pouvait vraiment pas en dire autant donc de bien d'autres pays. *** Ces six jours furent intenses, passionants, et totalement épuisants : épuisants par ces montagnes russes émotionnelles quand on passe d'un numéro où du fond de son siège on se sent en total empathie avec l'artiste, on croiserait presque les doigts pour que le numéro tienne jusqu'au bout, on vibre et on craint, puis l'instant d’après on aimerait se terrer sous son siège tant le numéro proposé tourne à la débandade complète, le numéro s'étire, la confusion embrume les esprits, les applaudissements s'étiolent, la gêne s'installe. Épuisants aussi car intellectuellement c'est une sollicitation constante, chaque choix thématique, choix de mise en scène, de musique, d’accessoires, de chorégraphie, de texte suscitent une foule d'interrogation, d'idées, on imagine des alternatives, on reconnait un principe plus ou moins bien employé, on s'interroge sur un texte,  peu importe qu'on adhère ou pas, c'est un bouillonnement de créativité qui vous lessive, qui parfois frise l’excellence, parfois sombre dans des approximations difficilement recevable côté public, mais qui toujours exige une concentration soutenue s'il on veut analyser à fond chaque numéro- et par analyser j'entends aller au-delà du "oulalala il a flashé" ou des conjectures quant à la méthode employée (après, le 3e jour des session de close-up et magie de scène, vendredi donc 5e jour de la FISM, on ne cachera pas que c'était visiblement et surtout bruyamment 😉 difficile pour beaucoup de suivre encore la compétition tant la fatigue était grande) . Admiration aussi pour ceux, tous ceux, qui s'y collent :  que de mains qui tremblent, que de voix qui déraillent sous le coup de l'émotion, que de gestes techniques qui dérapent sous la pression, mais ils y sont allés quand même, dans l'espoir de créer un moment magique.  Chapeau. L'aspect compétition, délégation des pays, avait été ici même discuté avant la FISM : très franchement ces questions une fois qu'on est dedans s’envolent instantanément, l'ambiance fabuleuse qui se crée autour de la compétition, le plaisir de voir les équipes soutenir avec un chauvinisme bon enfant leurs différents candidats vous emporte-on a souvent la standing ovation facile, mais qu'importe c'est le jeu. Au contraire même l'idée d'avoir des équipes qui soutiennent les artistes dans tous les domaines, créatifs, techniques, et pourquoi pas psychologique - la pression est telle- paraît assez évidemment la voie à poursuivre et amplifier. *** Et zut ... ce matin -après un retour dans la nuit homérique de quelque sept heures depuis TURIN pour PARIS- je me suis surpris à fredonner "Abracadabra"... arghhhhhh Lady GAGA sort de ce corps...  
    • Merci pour cette précision. Je pensais que Dani concourrait uniquement en invention. Il reste dommage que dans la catégorie GI, on exige deux illusions différentes. Pas certain que des effets additionnels de magie générale suffisent avec une seule grande illusion. C’est du moins ce que l’on m’a expliqué à plusieurs reprises, mais peut-être les choses ont-elles changé ( ou mériteraient d’évoluer dans le cas contraire). 
    • Entre temps, j'ai eu un retour de @Pathy BADD qui a demandé à Peter DIN le vice président de la FISM et en charge des notations.  Sa réponse  Cela répond donc à ta question sur les 120 points 😜
  • Statistiques des membres

    • Total des membres
      8217
    • Maximum en ligne
      4524

    Membre le plus récent
    Hippolyte ADENOT
    Inscription
  • Statistiques des forums

    • Total des sujets
      83.9k
    • Total des messages
      678.8k

×
×
  • Créer...