Les chiffres sont magiques...
Ci-dessous copie d'un message que j'avais posté sur un blog en réponse à une certaine Judith qui avouait son désamour des chiffres :
J’aime les chiffres. J’aime les voir se mélanger et donner des nombres. Les nombres font partie de notre monde, de notre quotidien. Les mathématiciens ont appelé les plus simples d’entre eux les nombres entiers naturels. Pour mieux tenter d’expliquer le monde, ils ont aussi inventé les nombres réels. Les fractions qui ont tant fait souffrir certains, on les appelle les nombres rationnels, c’est vous dire. Il faut vraiment qu’ils soient retords, comme √2, pour qu’on les traite d’irrationnels.
Tiens, un qui devrait vous plaire Judith, et dont la valeur s’écrit avec une lettre : « i ». On ne sait pas l’écrire autrement. C’est un peu compliqué à expliquer, c’est peut-être pour ça qu’on l’appelle nombre complexe. Certains préfèrent dire que c’est un nombre imaginaire pur , ce que je préfère aussi. C’est plus joli.
Les nombres forment une grande famille, plus encore, une généalogie complète. Une généalogie pleine de subtilités. Prenez la branche des parfaits par exemple : il existe les nombres parfaits, les presque parfaits, les hyperparfaits, les semi-parfaits, et même les nombres quasi-parfaits dont on ne sait même pas s’ils existent, mais pour lesquels les mathématiciens on quand même prévu un nom. Comme à un futur bébé pas encore né.
Les nombres peuvent être sociaux, aimables, amicaux, heureux, déficients, malheureux, voire même intouchables.
Les nombres ont aussi leurs stars. Les nombres premiers par exemple. Mais la star des stars, c’est le nombre d’or. Il vaut à peu près 1,618 033 988 749. A peu près, car en fait, ce nombre d’or est un cachottier : comme d’autres, sa valeur exacte ne se laisse pas écrire. Il faudrait pour cela une infinité de chiffres.
Et puis il y a ceux qui se font appeler les transcendentaux. Pas du genre à se mélanger avec les vulgaires nombres pairs ou impairs. Alors certains transcendentaux se la pètent : comme Pi, un des rares à avoir pris un pseudonyme, une vraie vedette. Même les poètes lui ont composé des hymnes. Et ce dans toutes les langues.
Et puis il y a les grands nombres. Des vrais, des costauds. Ils ont des noms de scènes connus de tous, même si souvent on ne connaît pas leur valeur exacte.
La myriade pour 10 000, joli, non ? Mais pas très grand.
Encore plus grand ? Le nombre de Shannon : un 1 suivi de 120 zéros.
Et le plus drôle : googol. Je vais pas vous l’écrire, c’est un 1 suivi de 100 zéros . C’est lui qui a inspiré les créateurs de Google.
Pour rester dans l’actualité, n’oubliez pas que les chiffres que notre civilisation débridée utilise tant ont été inventé par les arabes. Nos chiffres sont immigrés. Rendez-vous compte. Comme notre équipe de foot nationale. Et regardez les romains, cette civilisation flamboyante, qui a dominé le monde, imposé sa culture, guerroyé à tout va : que reste-t-il de leurs chiffres ? Pas grand chose, a peine quelques un égarés sur les vieilles pendules.
J’aime les chiffres. J’aurais pu aussi vous parler des étranges mais non moins passionnants nombres p-adique, et puis surtout des nombres transfinis, qui font bouillir l’imagination comme aleph zéro et aleph un. Mais je sens que je vais vous lasser, si ce n’est déjà fait. Tant pis, je ne vous parlerai pas des nombres abondants et des nombres puissants avec lesquels vous auriez peut-être pu impressionner votre banquier.
Je pourrai vous parler des heures et des heures des chiffres. Les chiffres, il ne faut pas les snober. Les chiffres, il n’y a que les crétins pour s’en servir pour humilier les autres. Comme les statisticiens (*). Et comme Napoléon qui aurait dit : « Les hommes sont comme les chiffres, ils n’acquièrent de valeur que par leur position ». On croirait du Jack Welch. Et surtout, Napoléon a oublié que zéro est le premier des nombres. J’aime les chiffres. Ils peuvent être beaux. Surtout quand ils ne servent à rien (**). Quand ils ne servent qu’aux jeux de l’esprit et à tenter de comprendre le monde. Et non à classer les hommes. Ou a tenter de les dominer.
Pour finir, j’aurais pu vous souhaiter un bon anniversaire. Mais je ne le ferai pas. Parce que je refuse de fêter le mien depuis longtemps. Parce que l’âge est un nombre qui ne sert à rien. Tout juste bon à vous rappeler qu’il faudra mourir un jour. Comme quoi les nombres mal employés, c’est nul.
Les lettres sont-elles plus importantes que les chiffres ? Je ne le crois pas. Et c’est peut-être l’un des malaises de notre monde actuel que de vouloir les opposer. Je rêve d’un monde où quantité et qualité vivraient indéfiniment en paix.
(*) pas tous. Je viens de lire un petit livre passionnant : « Attention, statistiques ! Comment déjouer les pièges » de Klatzman Joseph, ancien administrateur à l’INSEE.
(**) pas tout à fait. Par exemple, la théorie sur les nombres premiers trouve application en cryptographie.
Bob