Bonjour,
Une question me chiffonne depuis quelques temps sur un domaine qui m'attire mais que je connais assez peu.
Pour faire simple, je me demande comment le jeune enfant (3/4 ans) perçoit l'événement magique, alors que la frontière entre la réalité et la magie doit être, pour lui, très floue (c'est en tout cas ce que j'imagine de mon résonnement d'adulte). Il est en effet assez courant qu'un jeune enfant croit à ce qu'il imagine : 'j'ai vu un monstre dans le placard ! ', 'j'ai vu maman avec le facteur !' heu ...
On parle souvent (à juste titre d'ailleurs) de l'importance de la présentation, du personnage, de l'attitude, mais on parle peu de la vision de l'enfant face à l'action magique. Même s’il est souvent affirmé que l'acte magique n'a qu'une importance mineure en lui-même, il me semble important de comprendre comment cet acte est ressentit pour pouvoir mieux le mettre en valeur, et surtout, inversement, que l'acte mette en valeur la présentation (une harmonie en quelque sorte)
Prenons l'exemple simple d'une balle mousse qui disparaît de la main suite à un faux dépôt. Prenons l'acte magique en lui-même, sans aucune présentation pour ne pas perturber le raisonnement.
Si vous faîtes cette passe à un adulte, certains se demanderont 'mais comment il a fait ? Je n'ai rien vu', d'autres 'elle est dans la manche'... Il n'y a pas de doute, pour l'adulte, que le magicien triche (et pour cause). L'adulte comprend instantanément que vous êtes magicien et que vous venez de faire un tour de magie, (ce qui n'est plus forcément le cas avec une présentation adaptée ; par exemple, certains adultes se demandent si certains tours de David Blaine sont truqués... même chose avec Uri Geller ou Jean-Pierre Girard et que dire des opérations chirurgicales à main nue ... mais c'est un autre sujet)
Faîtes la même chose à un jeune enfant (pas l'opération à main nue, mais la disparition de la balle mousse), certains vont à peine remarquer qu'il s'est passé quelque chose, d'autres vont chercher la balle par terre, et vont se dire 'il a fait tomber la balle je vais l'aider à la chercher'. L'enfant ne va, sans doute, jamais penser que vous avez triché, peut être même que cette 'notion' est pour lui inexistante selon l'âge de l'enfant. Il ne va également pas penser au fait que la balle est magique ou que vous avez des pouvoirs quelconques car vous n'avez pas présenté les choses comme tel. L'absence de présentation ne 'prépare' pas l'enfant à ce qu'il va voir et va sans doute comparer ce qu'il vient de se passer à ce qu'il a l'habitude de voir.
Il me semble donc que l'acte magique en lui-même (toujours en supposant qu'il n'y a aucune présentation) est perçu de manière complètement différente entre l'enfant et l'adulte. Pour l'adulte, l'acte magique est quelque chose en soit (pas suffisant bien sur..) alors que pour l'enfant, l'acte magique seul pourrait passer pour inexistant (ce n'est qu'une supposition dont je doute, et si quelqu'un a un avis là dessus cela me permettrait d'y voir un peu plus clair).
Etant donné que l’enfant croit en ce qu’il imagine et que l’acte magique seul n’existe pas pour l’enfant, je viens a me demander si la présentation d’un effet sans ‘trucage’ aurai un impact vraiment différent. Je m’explique :
Prenons, par exemple, le numéro de production ‘des réveils’ de Paul Maz dans le 'magicien de papier' (très joli compte/spectacle), lorsque Paul fait sortir un nombre impressionnant de réveils d'un sac, ne pouvant en contenir que quelques uns. La présentation est jolie et même drôle. Imaginons maintenant que Paul Maz utilise un sac suffisamment grand pour contenir tous ces réveils, mais en faisant juste comprendre que le sac est vide au début et entre chaque sortie de réveil. L’impact serait il différent pour le jeune public ? Et, si oui, en quoi serait-il différent exactement ? (j'apprécierais grandement votre point de vue Paul)
De cette constatation, on imagine l'importance presque exclusive qu'a la présentation pour ce public (sans doute beaucoup plus que pour un public adulte, mais c'est un autre débat). Et en particulier, dans le but d'accompagner et de guider la réflexion de l'enfant.
Pour l’adulte, il me semble souvent préférable de faire en sorte de lui faire oublier qu’on est magicien et que l’on triche, pour qu’il entre dans notre univers (bien sur, ce n’est pas toujours nécessaire : démonstrations de manip, magie pour magicien, etc…). Alors que, pour que l’enfant reste dans notre univers (souvent proche du sien), il ‘suffit’ (sans pour autant être facile, loin de là) de ne pas lui montrer que l’on ‘triche’. C’est bien sur le cas pour ‘les trucages’, mais aussi et surtout pour le reste : présentation, personnages, parole, attitude, etc…. Le but est le même, mais la démarche me semble assez différente. Pour l’adulte, il faudrait lui faire accepter de se ‘déconnecter’ de la réalité alors que pour l’enfant, il faudrait tout faire pour qu’il reste dans ‘sa réalité‘ (pour lui la magie existe) et utiliser sa réalité pour apporter notre ‘imaginaire’ (on fait comme si la magie existait). Mais comment utiliser au mieux cette particularité (si vraiment il s’en agit d’une) ou en tout cas ne pas mal l’utiliser ? … heu .. C’est peut être pas très clair si ?
Pour accompagner la pensée de l’enfant, certains semblent utiliser la tendance au mimétisme qu’a le jeune enfant, en se mettant au niveau de l'enfant en terme de réaction et en entrant dans son 'univers'.
J'avais, par exemple, constaté (il y a une dizaine d'années), lors d'un spectacle de Gérard pour une école maternelle que Gérard prenait beaucoup de recul par rapport aux événements magiques qu'il faisait, que, dans un sens, il 'subissait' la magie, qu'elle arrivait presque à son insu. Cette manière de procéder semblait lui permettre de guider, ou plutôt accompagner, les pensées de l'enfant et lui faire comprendre que ce qu'il voit n'est pas habituel.
Par exemple, dans sa routine de gâteau (apparition d’un gâteau dans une casserole à colombe) Gérard et sa femme utilisaient des phrases du type : 'elle est vraiment bizarre cette recette ! ! ! Vous mettez du parfum vous dans le gâteau ?!? Bon on va bien voir si ça marche... et à l'apparition du gâteau, Gérard était aussi étonné que les enfants que cette recette ait fonctionnée. Les doutes de Gérard semblaient faire comprendre (au sens de guider) aux enfants que la réaction normale, face à cet événement, est bien le doute ; de même pour la surprise (apparition du gâteau), la peur (serpent à ressort dans un pot de sucre), etc.... (Ce ne sont, bien sur, que des suppositions sur le raisonnement de l'enfant et ne connaissant pas bien ce public, je serais ravi d'avoir votre point de vue Gérard).
Une autre approche, consisterait à se mettre en position de conteur (parler, mimer, ...) où l'acte magique illustre l'histoire. C’est le cas par exemple dans le 'magicien de papier' de Paul Maz, ou le magicien est avant tout un raconteur d'histoire (c'est en fait ce que j'imagine du ressenti de l'enfant et là aussi, j'apprécierais grandement votre point de vue Paul). Dans cette présentation, l'acte magique est souvent (pas toujours) là pour illustrer l'histoire et était peu être ressenti comme quelque chose de ‘normal’ dans l’histoire.
Il y a également le mélange des deux ou le magicien raconte une histoire qui lui est arrivé personnellement (dont il est l’acteur).
J'imagine qu'il y a d'autres approches ? Est il judicieux/nécessaire d'utiliser/mélanger plusieurs approches ? En fonction de quoi ?
Mis à part le fait d’utiliser telle ou telle approche en fonction du personnage (qui ne me semble pas une raison suffisante), la première chose qui me vient à l'esprit serait de les utiliser en fonction de l'émotion que l'on veut faire passer. Par exemple, pour une émotion 'rapide' (rire, surprise, peur, ...) une présentation basée sur le mimétisme (la 1ère approche) pourrait sembler plus appropriée. Alors que pour une émotion 'lente' (poétique, rêve, imaginaire, tristesse...) j'aurais tendance à favoriser une présentation en position de raconteur (la 2eme). Et, bien sur, pour ‘jongler’ rapidement entre diverses émotions, j’utiliserais la 3eme.
En me relisant, je me rends compte que c'est un peu fouillis, longuet, déstructuré, et qu'il y a certaines contradictions. Mais tout cela reste complètement théorique et de nombreux contre exemples me viennent en tête. Pour les personnes ayant une connaissance de ce public (Gérard Bakner, Paul Maz, Peter Din, Mimosa, et j’en oublie…), le partage de votre expérience me (a d’autres aussi j’imagine) permettrait de mieux comprendre tout cela,et utiliser, au mieux, les particularités de ce public, et surtout comment ne pas mal les utiliser...
Le comble, c'est que l’on a tous été un jour ces jeunes enfants ; mais qu'on a en partie (totalement ?) oublié comment c'était.
Julien K.