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Récit d’une mini tournée sur cette île, effectuée en mai 2004
Se rendre à Taïwan (l’ex île de Formose) depuis le Japon est une sinécure. Un billet aller-retour Tokyo Taipei ne vaut que 250 euros et on peut y séjourner un mois sans visa.
Il était prévu que je me rende chez des amis français habitant au sud de l’île. Cependant la tante de ma femme, japonaise ayant professé sa langue durant l’occupation de l’île par le Japon nous donne l’adresse de l’un de ses élèves, 83 ans. Lors d’un contact par téléphone, nous décidons de rester une nuit dans la capitale. Ce monsieur est venu nous accueillir avec son fils (qui a exactement mon âge). Le père parle parfaitement le japonais, ce qui est impressionnant. Son fils le pratique également quoique sans pouvoir rivaliser avec lui. Nous sommes logés dans un hôtel convenable (50 euros) mais avec mini-bar gratuit, télévision grand écran dotée de 50 chaînes dont celles des Etats-Unis et du Japon par satellite.
À peine mon Macintosh ouvert, la connexion avec Internet est établie automatiquement par airport (wi-fi) et sans supplément. La salle de bains est immense. Le petit déjeuner se fait dans une bibliothèque dotée de tous les journaux et périodiques chinois. Non seulement Taïwan a refait son retard sur le Japon mais est en train de creuser son avance sur l’Europe (et les Etats-Unis). (Photo 1).
Dès le soir de notre arrivée, nous demandons à visiter un marché de nuit. C’est une ambiance exceptionnelle qu’on ne trouve qu’en Asie. Ce qui y ressemble le plus serait sans aucun doute la place Jamar-al-fnaa à Marrakech. On fait ses courses dans un véritable capharnaüm, on dîne à quelques centimètres des embouteillages, on joue, on achète, on se hèle bercé de mille lumières dans une température qui serait celle d’une nuit chaude de juillet à Paris (photo 2).
Nos hôtes nous convient dans un bon restaurant tenu par l’un de leurs amis. Contrairement au quartier chinois de Paris, les mets ne sont pas du tout gras et les saveurs toutes en nuances et qui conviennent parfaitement aux Japonais. D’ailleurs un jeu de mot fait fureur ici : les Japonais ne disent plus «je vais à Taipei » mais «je vais à Tabe » (tabe ni iku), ce qui signifie « je vais manger ».
Je n’ai pas fait de magie. Ils savent qu’il s’agit de ma profession mais j’ai l’impression que c’est le cadet de l’intérêt de ces brillants commerçants. Je n’ai donc absolument pas insisté. En Asie, l’ego est toujours malvenu. Je suis là pour écouter, apprendre et non pour frimer à l’occidentale.
Le lendemain matin, le neveu de M. Nemoto (il s’est choisi un nom japonais outre son patronyme chinois) nous présente sa boutique (photo 3). C’est un expert reconnu du thé et il donne des conférences dans tout le Japon : ustensiles, préparations, variétés exotiques. Tout y passe et, à ma grande stupeur, en l’espace de deux heures, il parvient presque à convaincre ma femme de devenir une tête de pont du thé taïwanais à Paris ! La suite se fera par email et Internet. Il a des succursales dans le monde entier (Etats-Unis, Maroc, Algérie, Tunisie, etc.) mais la France résiste. On y préfère le café et les anglais sont nos maîtres en matière de thé.
En fin de matinée, on nous emmène à l’usine du patriarche située dans les montagnes. Nous passons devant la Tour 101 (photo 4), la plus haute du monde, en voie d’achèvement qui comporte …101 étages, d’où son nom (one o one). Monsieur Nemoto nous fait visiter l’usine qu’il a construite et développée depuis 50 ans. Il a offert au village l’abri bus le plus kitch du monde qui est accolé à l’usine (photo 5).
Le midi, nous sommes à nouveau invités dans un restaurant situé dans un parc naturel de sources chaudes dont la spécialité est les poissons : en sashimi, cuit à la vapeur, salé ou en friture, tout y passe accompagné de l’indispensable bière taïwanaise, très légère comme les bières japonaises.
A la fin du repas, il nous reste deux heures avant de prendre le train pour le sud de l’île. Par hasard, le monsieur s’enquiert de ma magie. De manière impromptue, j’avale d’un trait la baguette. Et là, étonnement, comme si, tout d’un coup, il venait de basculer d’un mot abstrait ‘magie’ à une réalité entrevue seulement à la télévision. Je montre un billet de 10 en et le change en billet de 1000 en. Pour un commerçant chinois, ce n’est pas du tout un jeu et je dois le rassurer en lui certifiant que c’est un art, une ‘gentille’ escroquerie.
Ni une, ni deux, il veut absolument que ses employés voient cela et nous embarque dare-dare en direction de l’usine. Si je ne veux pas rater mon train j’ai une demi-heure pour préparer un spectacle, le présenter, ranger et reprendre la voiture !
L’expérience des cabarets a de bon qu’elle vous apprend à être prêt en 5 minutes avec un minimum d’accessoires. Je commence par désigner l’endroit (photo 6) : à l’ombre, à l’abri du vent, dans un angle, lumineux mais sans contre-jour et j’ai repéré un endroit idéal pour la carte au plafond, tour que je pressentais idéal ici. En fait la difficulté est ailleurs. Les employés n’ont JAMAIS vu de magicien en live, ils ne savent pas écrire. Aucun ne comprend l’anglais ni le japonais en dehors des patrons. Le spectacle sera muet et sans musique.
Dans ces conditions, la seule magie qui passe est celle de Vadini.
Contrairement à l’Europe où je peux jouer au comique dès mon entrée car les spectateurs en ont vraiment marre des magiciens imbus d’eux-mêmes, je sais que je dois convaincre que je suis un authentique faiseur de miracles avant d’essayer de les faire rire.
Je commence par l’apparition d’une bouteille (splash bottle) dans laquelle j’ai introduit du thé (car nous sommes dans une usine de thé) et réalise le tour des coupes inépuisables. Ce sera ensuite le journal déchiré (méthode Slydini), puis à nouveau le tour du billet de 50 en transformé en 1000 en (25 euros). J’ai visiblement passé mon examen d’entrée. Premier tour avec un spectateur, une chasse aux pièces allégée. Puis c’est le moment de la carte au plafond … de l’entrepôt situé à 6 mètres de hauteur. Il est lisse et j’ai seulement peur de ne pas avoir la force de l’atteindre. L’ouvrière a signé.. d’une croix faute de mieux. L’effet sur les spectateurs me surprend. Impossible d’enchaîner sur le tour suivant. Tout le monde est debout en montrant la carte. On veut la prendre en photo au zoom et là, tout le monde devient fou : la carte est invisible dans le viseur de l’appareil ! Quand des choses vous dépassent feignons d’en être l’instigateur, je prétends qu’il s’agit d’un mirage. Je pense simplement que certains détails trop petits (la carte est à 6 mètres) ne traversent pas le prisme de l’appareil photo.
Reprise du spectacle plusieurs minutes plus tard avec le raton laveur (en accéléré) pour détendre l’atmosphère et cadeau d’un escargot en ballon. Il est inhabituel pour moi de le présenter si tard mais il faut s’adapter.
Le quart d’heure imparti est déjà écoulé (pas le temps de jongler ou de manipuler des cigarettes) alors je décide de conclure avec un final humoristique cohérent, en l’occurrence l’envol à la Harry Potter sur un balai emprunté (méthode Andrew MAYNE) et rapide salut. Pendant que je range à vitesse grand V en essayant de n’oublier aucun accessoire, les discussions vont bon train et on diligente même sur les lieux un fenwick pour tenter de récupérer la carte, heureusement sans résultat. Enfin, ils s’avouent vaincus et suggèrent que la carte, qualifiée de ‘souvenir porte-bonheur’ restera toujours là. C’était mon but : laisser une trace indélébile du spectacle (mais pas forcément de moi, ce qui est différent).
Avant de prendre congé, on m’assure que l’on pourra m’organiser une tournée dans la région l’an prochain et l’on me demande expressément de raccourcir mon séjour dans le sud pour revenir un jour plus tôt pour un spectacle en bonne et due forme. Et dire que ces personnes n’avaient pas conscience du mot ‘magie’, il y a seulement deux heures…
Le lendemain nous prenons le train vers la pointe sud de l’île où une famille franco taïwanaise nous attend. Dans la semaine, il y aura 4 spectacles dont 3 le dernier jour (et encore, j’ai préféré en refuser un supplémentaire le matin car je connais mes limites physiques). Au cours de mon court séjour, j’ai essayé de comprendre un peu mieux cette île.
Chose étrange, la communication a été facile sur les marchés avec les grands-mères qui souvent parlent le japonais (photo 7). Pour l’écrit, la connaissance des 300 kanjis de base du japonais permet de se repérer sans mal dans les rues et dans les restaurants. Les japonais ont occupé l’île durant 50 ans avant le repli des chinois du ‘continent’ à la fin de la guerre en 1945. C’est à partir de ce moment que les taïwanais ont commencé à regretter les japonais. De fait, l’influence japonaise est omniprésente et la réussite économique de l’île puise ses racines dans l’éducation et l’organisation japonaise. Au contraire, les chinois du ‘continent’ comme ils disent ont perdu leurs valeurs (importance de la parole donnée, etc.). Comme au Japon, je suis étonné de voir tout ouvert. On pourrait tout voler facilement ici. J’ai aussi honte des sommes détournées par la France dans l’affaire des frégates.
Nos hommes d’affaires ont poussé le vice jusqu’à oser faire la fête avec ces gens sachant pertinemment qu’ils les volaient malgré la signature d’une clause interdisant les commissions. Lorsque je suis tombé par hasard nez à nez avec cet aigrefin d’Alfred SIRVEN en sortant de la chambre d’appel lors du procès que m’a intenté M. DUVIVIER, je lui aurais dit ma façon de penser si j’avais connu Taïwan plus tôt. J’apprécie de voir les escrocs fuir mon regard quand je leur mets le doigt dans leur caca. J’ai toujours été surpris par la lâcheté des puissants. Et dire que M. CHIRAC désire maintenant vendre des armes à la Chine. Que j’ai honte de mon pays parfois.
Les quelques spectacles donnés (au propre comme au figuré) ont confirmé mon intuition du premier jour : le second degré ne passe absolument pas ici. La moitié de mon répertoire de scène est inutilisable. Le close-up marche bien car il s’agit de véritables tours de magie : carte à la demande, manipulation de cigarettes et pièces, billet transformé, bague sur le cordon, houlette impromptue («Kundalini » de Vadini et Mc Bride) dans la main du spectateur, l’huile et l’eau. Les conditions sont épouvantables dans les restaurants : salle peu éclairée, bruit ambiant, clients attablés, éloignés et de tous les côtés, chaleur humide, etc.
Mais le pire est à venir : le directeur de salle commente mes tours en direct au micro ! Et comme il a vu le spectacle la veille, il explique à l’avance l’effet et les gags, horrible. Mais il paraît que c’est comme cela à la télé : imaginez Patrick SEBASTIEN commentant tous les numéros visuels à la manière de Léon ZITRONE «et maintenant vous allez voir la colombe sortir à toute vitesse, çà y est, on applaudit». Les seuls tours qui passent la rampe sont ceux du répertoire de Vadini : des tours hautement symboliques, universels, dépouillés, sans boniment, qui ont fait leurs preuves dans les rues de tous les pays du monde.
Après le dernier spectacle, donné la veille du départ dans un restaurant du Saint-Tropez taïwanais (Photo 8), on va nager dans la mer chaude dans la nuit noire. Le jour, c’est impossible car les touristes délaissent leur vespa pour faire du jet ski (allez comprendre) et c’est dangereux. Les autochtones sont sidérés : cinq français entièrement nus qui se baignent à minuit !
Ce qu’il y a de bien avec les îles, c’est que l’on peut y voir un ciel étoilé.
Parmi les bonnes idées, j’ai remarqué un camion spectacle (photos 9 et 10). Je suis convaincu que l’idée marcherait les soirs d’été sur la côte.
De retour à Taipei, je suis allé visiter la Mecque informatique locale, l’équivalent d’ Akihabara au Japon : Guanghua (photo 11). Quantité d’échoppes minuscules refilant du matériel de grandes marques (Logitech, Microsoft, Apple). De faux vrais originaux de toute évidence, fabriqués en catimini sur les chaînes de montage durant les heures supplémentaires). Pas de photo car on m’a fait comprendre fermement de ranger illico mon appareil. Il ne reste que la vue d’un coin ‘ancien livre’ qui montre l’étroitesse des lieux (photo 12) et les spécialisations comme les cd vierges à 10 centimes (photo 13).
Ce n’est qu’un au revoir, Formosa for Mimosa
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Merci à Michel FONTAINE pour la relecture.
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