Très régulièrement, la même question revient sur le tapis des discussions avec des « jeunes » magiciens.
On voit aussi fleurir les mêmes réflexions sur les forums de discussions d’Internet :
A quel prix doit-on travailler ? Peut-on travailler à n’importe quel prix ? Que penser de ceux qui sont moins chers que moi ? Que répondre à un client qui négocie sévèrement ? Y a-t-il un tarif syndical ? Es-t-il plus rentable de travailler au noir ?
Je ne connais pas de réponse toute faite à cet ensemble de questions. Par contre je sais deux ou trois choses car, parfois, je fais le plein d’essence ou je reçois des nouvelles du contrôleur des impôts…
Que ce soit à titre amateur ou professionnel, faire de la magie a un coût (même si on y prend énormément de plaisir). Je ne sais pas bien ce que vaut un numéro, mais je suis capable de calculer ce qu’il me coûte.
Premier poste : monter un numéro
- Achat du matériel, des livres ou vidéos, factures des fournisseurs et artisans éventuels. Adhésion à une association de magiciens, abonnements à des revues, inscriptions aux congrès (et transport, hébergement…), prix des conférences (formation continue).
- Achat et / ou fabrication du costume (y compris les chaussures et tous les petits accessoires décoratifs).
- Achats, location… des disques, du studio, du matériel pour réaliser la bande son (y compris, amortissement du matériel, si c’est le sien).
- Temps pour fabriquer le matériel, monter le numéro, le répéter… et nombre de canettes de coca ou de bière consommées…
Second poste : vendre le numéro
- Frais publicitaires : photos, plaquettes, mailing…
- Négociation du contrat : frais téléphoniques (y compris avec ou vers un portable), affranchissements, matériel de bureau et papeterie…
- Temps passé sur son clavier et au bout du téléphone.
Troisième poste : exécuter le numéro
- Coût du déplacement (et la voiture vieillit, il faut changer les pneus plus souvent, faire une vidange de plus…)
- Frais de pressing, coiffeur, cirage, maquillage…
- Frais médicaux (je me fais vacciner chaque année contre la grippe pour avoir plus de chance d’honorer mes contrats).
- Prix des consommables (papier flash, jeux de cartes, journaux, œuf…)
- Amortissement du matériel de magie (il s’use, il faut donc prévoir régulièrement son remplacement), stockage et entretien (et aussi nourriture des animaux…)
- Amortissement des autres appareils (sono, éclairage…)
- Temps passé pour honorer le contrat.
Quatrième poste : taxes et impôts
Le seul moyen de se protéger efficacement, et de protéger le client, est de travailler légalement (avec un contrat) et de payer les charges salariales et patronales. Les sanctions sont de plus en plus dissuasives.
Et le travail au noir est déloyal vis à vis des professionnels qui ont besoin de cotiser pour garantir l’avenir. Avant, ce n’était pas simple !
Avec le guichet unique, c’est devenu presque enfantin et… nettement plus cher.
Il faut savoir que, sur la somme globale dépensée par le client, il ne revient à l’artiste qu’environ 60%. Exemple : pour un budget de 1 500 F, le cachet net versé à l’artiste en septembre 2000 est de 931 F. Eh oui ! (Il est cependant possible de comptabiliser une partie du budget en frais de déplacements).
Une fois qu’on a touché son cachet, on paye des impôts (si, si !)
N’oublions pas les 10% pour l’agent (le cas échéant).
Et j’en oublie certainement encore.
Quelques chiffres ?
Mon numéro « Légende indienne » m’a coûté plus de 8000 francs à fabriquer et monter (plus quelques pizzas et mac-do). Un micro H.F. digne de ce nom coûte dans les 2500 francs et il est prudent de changer la pile à chaque spectacle. Il n’est pas rare de flinguer pour 50 à 100 francs de consommables (à 10 francs la feuille de papier flash et 25 francs le jeu de cartes, ça va très vite). Un pressing, veste et pantalon : au moins 100 francs.
A chacun de faire ses comptes. Il est des sommes en dessous desquelles, tous comptes faits, on perd de l’argent, et parfois beaucoup, pour travailler. Même si la magie est une passion, certains doivent en vivre !
Tout ça n’empêche pas de faire des spectacles gratuits, mais dans ce cas, il s’agit d’un cadeau, d’un don (dont on doit être capable d’évaluer la valeur). Allez, supposons que l’on ne veuille pas se lancer dans de sordides calculs de marchands de soupe. Voici une petite fiction, pour rire.
J’ai royalement négocié un contrat à 1500 francs TTC. Je toucherai un chèque de 931 francs. Mettons 20 % de côté pour les impôts, il me reste, disons, 750 francs. Je ne compte que les consommables et le transport (d’accord pour 200 francs ?) et j’offre tous les amortissements et frais de fabrication tellement j’aime la magie. Il me reste donc 550 francs. Je passe en deuxième position et on me demande 30 minutes, ce soir, à 21 heures.
Un calcul basique lorsqu’on n’a pas réfléchi à tout ce qui précède donne 1100 francs de l’heure, je crois rêver ! Eh bien oui, je rêve.
Car pour ce gala, j’ai passé trois heures de négociation, répétitions, préparation, chargement de la voiture, deux heures de transport (aller et retour), je suis arrivé à 19 h 30, je suis en fait passé à 22 heures et ai quitté les lieux à 0 h 30 (le patron était introuvable au moment des papiers).
Et voilà dix heures de passées, ce qui ramène à 55 francs de l’heure ! Au moment où j’écris ces lignes, le SMIC horaire est à 40,72.
Voilà, travaillez au prix que vous voulez, mais sachez au moins combien ça vous coûte !
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