Jeu de dupes (en anglais “con game”)

Les tours du type “Faîtes comme moi / Vous ne pouvez pas”, ceux où un spectateur se voit être le seul dupe de la supercherie (les boulettes : ici présenté avec des oeufs par David COPPERFIELD ; on regrettera certaines répliques d’un humour douteux), ou encore les tours du type “Paris qui ne peuvent être gagnés” condamnent presque inévitablement le rôle du spectateur à celui du PIGEON, le rôle le moins gratifiant qui soit, et qui engage un malheureux “bras de fer” avec le public.

Slydini a bâti une partie de sa réputation sur des effets répétés, et mettant au défi le spectateur de le prendre la main dans le sac. Considérons que c’est bien là une exception, remarquable, mais une exception tout de même.

Prenons l’exemple du bonneteau : grand est le risque avec ce type de routine, que la répétition même de l’effet avec défaite systématique du spectateur / JOUEUR amène un comportement aberrant de ce dernier : il pourra se mettre à désigner en dépit du bon sens la carte qu’il suppose gagnante sans même parler du spectateur / JOUEUR qui tente de se ruer d’autorité sur les cartes.

Évidemment avec un rythme adéquat, certains magiciens parviennent à conserver l’aspect défi, tout en tacitement communiquant au spectateur une sorte de message qui dirait “votre rôle est certes de perdre à tout coup, mais vous verrez c’est aussi divertissant ainsi”. Rares sont toutefois ceux qui y parviennent.

On relèvera alors l’intéressante approche adoptée par Eugène BURGER pour présenter son bonneteau2: il propose de montrer au spectateur un jeu, le bonneteau, dont lui-même fut la victime.

Cette astuce dédouane courtoisement le spectateur pour la suite, quand ce dernier constatera que la carte gagnante – la money card – lui échappe continuellement : d’ailleurs jamais Eugène BURGER ne lui demandera explicitement de désigner la carte qui est vraisemblablement gagnante, non c’est lui Eugène BURGER qui se remémorant cette anecdote, dit “bien évidemment je désignai cette carte, et bien évidemment je perdis” – i.e. vous trompez n’est-ce pas, mais rien de plus naturel, je me trompai aussi ce jour là.

Le tour de force est ici de placer le magicien du même côté que le spectateur par rapport à l’incompréhension de l’effet. La magie revenant au magicien Eugène BURGER n’étant autre que celle de son grand talent de conteur : la magie des cartes semble s’opérer presque en dehors de lui, au seul nom de son pouvoir d’évocation : et n’est-ce pas là, en dernière analyse, la vraie magie ?

Conclusion

Souhaitons que ces trois courts exemples auront suffi à convaincre ceux qui en doutaient encore, de l’intérêt qu’il y a à définir le rôle attribué au spectateur. Au delà des rôles répertoriés par Henning NELMS, il s’agirait alors désormais de s’interroger quant aux moyens que nous avons pour communiquer son rôle au public: car il va de soi que moins ce rôle sera explicité ouvertement, et plus il sera avéré dans le cours même de la routine, meilleure sera l’interprétation de notre public.

1 on notera que le public est amené à une relecture du sketch : le premier effet, de “le-canard-voyage-invisiblement-d’un-lieu-à-un-autre”, est alors identifié comme “le-magicien-peut-rendre-si-rapide-un-de-ses-assistant-qu’il-échappe-à-notre-regard”. De même le climax offrira-t-il une ultime surprise qui donnera élégamment le dernier mot magicien David COPPERFIELD : le canard ouvertement factice a recouvré la vie : à ce stade le public qui est avec le magicien, pleinement, sinon anticipe, du moins pressent la nécessité d’un retournement de situation définitif. La conjonction de la répétition et du ralenti, deux valeurs rythmiques disons, est par ailleurs pour beaucoup dans la réussite de la routine : voire combien la montée de l’enthousiasme du public est littéralement palpable quand David COPPERFIELD et l’ASSISTANT SECRET synchronisent leurs pas pour se diriger vers l’ASSISTANT&INSPECTEUR : cette rime dans leurs démarches redoublant le motif même de répétition qui structure la routine en son ensemble. Fin de la digression.

2 Il semble que Eugène BURGER la développe d’ailleurs dans “Performance of Close Up Magic Book

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(merci de mettre comme sujet “Réflexion Spect/Acteur”) !

Merci à Bruno SANVOISIN pour la relecture.

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