Concerne : Lettre ouverte sur votre émission Les mystères de la magie du 12.10.98 à 20h35

Mesdames & Messieurs de la TSR.

Marchand de rêves je suis, marchand de rêves je resterai… peut-être…

Je ne suis pas écrivain, ni un grand maître de la langue française, je ne suis qu’un simple petit marchand de rêves. Je me permets quand même de vous faire parvenir cette lettre ouverte en espérant que vous la lirez jusqu’au bout malgré ces imperfections de Français.

Je viens de visionner une cassette qu’une amie a enregistrée pour moi. Vu ma profession, il ne m’est pas possible ou si peu, de regarder la télévision. Je suis marchand de rêves ou devrais-je dire, depuis que j’ai visionné cette cassette, j’étais marchand de rêves.

Et bien non Mesdames et Messieurs de la TSR, je suis et je resterai très certainement marchand de rêves, malgré votre reportage américain sur le débinage des numéros de magie que vous avez retransmis un certain samedi soir.

J’ai toujours pensé que la télévision était là pour informer, détendre, faire rêver les téléspectateurs. Erreur, une fois de plus je me suis trompé… c’est dur d’admettre qu’on a tout faux. Est-ce que votre télévision n’est là que pour nous empêcher de rêver, casser nos illusions, détruire nos derniers espoirs ou pour nous empêcher de vivre heureux ?

Quel intérêt en avez-vous retiré… Je suis persuadé, aucun, si ce n’est peut-être de perdre de la crédibilité auprès de vos téléspectateurs, et peut-être aussi, perdre certains points à ce maudit thermomètre de l’audience.

Que dire d’un monde qui ne rêve plus, d’un monde toujours confronté à la réalité, sans aucun désir, sans aucun but, sans aucune soupape de sécurité… je n’ose y penser.

Pourtant un certain samedi soir de septembre en l’an 1998, une certaine télévision s’est aventurée à ce jeu destructeur et au combien dangereux.

Mesdames et Messieurs de la TSR, que diriez-vous si nous annoncions à tous vos annonceurs (pub) que vous connaissez leurs secrets de fabrication et que vous allez les diffuser sur l’antenne ? Que tout le monde et même le dernier quidam que je suis, pourra fabriquer leur produit, voir même le commercialiser. Comment pensez-vous que ces annonceurs réagiraient ? Croyez-vous que vous auriez encore de quoi entrecouper les films? Non je ne pense pas.

Pour ma part, si j’étais un de vos clients, je vous retirerais mon budget publicitaire. Comment pourrais-je faire confiance à une télévision qui dévoile les secrets de toute une profession, d’une entreprise, au risque de mettre ceux-ci en péril ? Je n’ose crier vive « Monsieur chômage ». Quelle horreur !

Aucun chercheur, aucun médecin, aucun savant, n’a pu trouver ou prescrire un médicament aussi puissant, aussi fort, aussi beau que le rêve.

La pastille Placebo n’est rien à côté du rêve. Quelle serait votre réaction si tous les spectateurs à qui vous avez cassé leurs rêves, décidaient aujourd’hui de ne plus payer votre redevance ?

J’ai envie de crier : Attention ! Parents ! Ne laissez plus vos chérubins regarder cette chaîne car elle va bientôt s’en prendre à eux ! Ce jour-là est pour bientôt, plus exactement le 25 décembre, le jour le plus beau pour nos charmantes têtes blondes.

Oui, on va leur montrer que leurs parents, grands-parents et tous les adultes qui les entourent sont de grands menteurs et qu’ils ne doivent pas leur faire confiance. Oui on va leur démontrer que le père Noël n’existe pas, on va leur montrer comment on transforme un papa, un grand papa ou un tonton en père Noël.

Pauvres enfants… nous brisons un de vos rêves le plus grand, le plus fort, le plus beau. On vous balance dès votre jeune âge dans la réalité cruelle de la vie, sans aucune défense, sans aucune attache.

Tout le monde à la mer, le bateau chavire, mais attention sans gilet de sauvetage, car les gilets sont réservés à ceux qui savent nager seulement.

Oh ! Quelle chance… ce n’est qu’une fiction… sortie de mon imagination… mais qui sait, je ne suis pas devin, je ne suis qu’un simple marchand de rêves.

Comme vous l’avez certainement deviné, je suis illusionniste, un simple et modeste illusionniste.

Celui qui fait frissonner, pleurer parfois, rire souvent mais surtout et avant tout celui qui fait rêver ou plutôt faisait rêver.

Mesdames et Messieurs de la TSR savez-vous ce que sont des applaudissements qui s’élèvent tout d’un coup d’une salle qui était silencieuse une fraction de seconde auparavant. Avez-vous déjà éprouvé autant d’émotion, d’essayer de retenir vos larmes de bonheur, je dis d’essayer car souvent vous ne le pouvez pas !

Lorsqu’une salle est en pleine explosion tellement les applaudissements sont grands, beaux et puissants. Que dire lorsque les rappels n’en finissent pas, et qu’ils durent, durent encore, durent toujours et que vous êtes là, seul, sous les projecteurs… vous ne pouvez plus rien faire… vous avez donné tout ce que vous avez pu… vous êtes vidé, lessivé, au bord de l’évanouissement… mais eux…les applaudissements… ils s’en foutent… ils sont toujours là, ils persistent, signent… Oh ! mon Dieu que c’est beau… quel rêve l’artiste vit.

Le pire, Mesdames et Messieurs de la TSR c’est que lorsque les applaudissements commencent… ils montent en intensité… que du haut de votre scène, vous ne voyez qu’une nappe noire à vos pieds, et, que tout d’un coup… une horde de têtes surgit sous vos yeux, sortie de nulle part, d’on ne sait où. Voir toute cette salle debout en train de vous applaudir… vous! Simple illusionniste… modeste marchand de rêves.

Ce moment est terrible, votre cœur va exploser… vous priez en silence en espérant qu’il tienne… « allez calme-toi… allez soit sympa tiens encore un peu… résiste… courage, bat encore… encore… encore… allez mon vieux copain, tiens le coup encore un instant, que je puisse embrasser mes enfants une dernière fois après la fermeture du rideau…» C’est invivable, mais tellement, tellement beau, que l’on se croit dans un rêve.

Rêve vite brisé après la fermeture du rideau lorsque la voix du régisseur de plateau s’élève « C’est terminé, on remballe le matériel…». Oh ce que l’on peut maudire cette voix qui nous ramène sans égard, à la réalité de la vie.

Que penser de ces gens qui après avoir assisté à votre spectacle dans la version cabaret, vous invitent à leur table. Qu’une dame vous dise, «…Merci pour ces moments de joie que vous avez su débloquer en moi.

Je suis encore enveloppée des débordements de la «Sale gamine ». Je ne pensais pas, il y a un mois en arrière, que je pouvais encore passer des moments de détente aussi agréables…». (Dames de 69 ans, sortie de l’Hôpital depuis 3 semaines, après une très grave opération.)

Ou alors : «…Pendant le spectacle, j’ai revu mon enfance, je me suis reconnue dans « Sale gamine », cela aurait pu être moi. Merci pour ce retour en arrière…». (Dame de 72 ans, arrière-grand-mère.)

Et que dire de cette petite-fille, (version enfants), qui s’échappe des mains de ses parents pour vous rejoindre en coulisse, alors que vous êtes presque dans la tenue d’Adam, pour vous sauter au cou et vous dire « Tu as vraiment une sale fille avec toi. Si tu veux, je veux bien être ta fille, moi ». C’est beau, c’est simple, c’est spontané et surtout sans commentaire.

Mesdames et Messieurs de la TSR c’est tout cela que vous avez détruit ou du moins entaché ce certain samedi soir.

D’autre part j’aimerais pouvoir dire à mes amis et fidèles spectateurs de spectacle de magie : ce que la télévision vous a montré est de la fausse information ou du moins n’est plus actuelle, sauf pour deux ou trois numéros qui sont toujours en pratique. Il y a longtemps que nous n’employons plus ce matériel lourd et peu maniable.

Plus aucune salle moderne ne peut supporter ou contenir un tel équipement. Nous employons d’autres techniques, d’autres trucages : Car il faut bien le dire, dans chaque numéro que nous présentons, il y a un truc. Non ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant, ne me dites pas que vous croyiez que la magie existait vraiment ? Alors là je suis déçu…

Je leur dirai encore : Allez voir le panier indien. Pour ma part, je le fais au milieu de la salle. Pas avec une partenaire mais avec deux charmantes demoiselles qui entrent à l’intérieur ! De plus, je ne les transperce pas avec des épées mais avec des torches enflammées. Retournez voir une lévitation et vous verrez qu’il n’y a pratiquement plus de rideau noir derrière ! Qu’il n’y a pas d’élévateur non plus, car très souvent c’est un beau et bon solide mur en béton qui nous sert de rideau.

Que diriez-vous lorsque vous verriez ma partenaire s’élever dans les airs et… tout d’un coup, tourner, autour de moi. Allez voir la femme sciée en deux et regardez bien l’épaisseur de la boite qui recouvre la partenaire.

Croyez-vous qu’elle puisse replier ses genoux sur sa poitrine ? Même la plus grande des contorsionnistes ne le pourrait pas, à moins que ce ne soit une… poupée gonflable. Ainsi de suite. Presque tout n’est que de la fausse information ou du moins, n’est plus d’actualité !

Tout a été remplacé par d’autres moyens, d’autres procédés, en bref d’autres trucs. Vous avez donc encore tout à découvrir. Si vous ne me croyez pas, courez au prochain spectacle magique qui passe dans votre région et vous verrez de visu si ce que j’ai écrit n’est pas la stricte vérité.

Merci Mesdames et Messieurs de la TSR car malgré votre acharnement à vouloir détruire les rêves des gens, marchand de rêves je suis, marchand de rêves je reste.

Salutations.

Cette lettre a été écrite après le passage de l’émission à la Télévision Suisse Romande.
Les 3 émissions ont été regroupées et passées en une seule soirée. Cependant, après mobilisation des magiciens de Suisse Romande, si nous n’avons pas pu arrêter sa diffusion, nous avons obtenu qu’elle supprime 2 numéros, à savoir les Anneaux Chinois et la Malle des Indes.
Pour ma part je ne pense pas que la diffusion puisse porter préjudice à notre art.
Les numéros dévoilés, à part peut-être la Zig-Zag qui est un grand classique, sont de très anciens numéros.
Actuellement nous ne pouvons plus pratiquer comme cela, car cela demande beaucoup trop de manipulations de matériel trop volumineux, nos salles actuelles ne nous le permettent plus.
C’est d’ailleurs ce que j’essaye d’expliquer dans la fin de ma lettre. Il est à relever que cette lettre a été publiée, soit en totalité ou en partie par plusieurs journaux de Suisse, et j’ai eu des échos très positifs.

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Localisation : Fleurier, Neuchâtel, Suisse. Age : 49 ans. Profession : Restaurateur. Spécialités en magie : Les Grandes Illusions. "Je présente des spectacles de grandes illusions avec 2 partenaires féminines. J'ai aussi à mon répertoire des spectacles magico-comiques, muets pour café théâtre. J'ai même monté un numéro de lumière noire. Je présente aussi un spectacle pour enfants où ce sont les enfants du public qui font les numéros de magie sous mon contrôle." Mes collègues critiquent très facilement mes prestations car je présente mes numéros différemment, sans classicisme, avec mes idées et mes convictions. On me reproche aussi très facilement de me donner trop à mon public. Il est vrai que lorsque je suis sur scène je ne m'occupe plus de ma petite personne et que seul le public compte à mes yeux. Je lui donne tout ce que j'ai dans le ventre et ceci sans fausse modestie, sans barrière, sans retenue. J'aime mon public et celui-ci me le rend si bien que je ne vois pas pourquoi je m'en priverais."