8. La Fin des Grands Secrets
ou comment la manie de tout montrer vient perturber les cachotteries des magiciens
La magie connaît en ce moment de grands bouleversements avec l’accès du grand public à sa pratique.
Des vidéos sont en vente partout. Aujourd’hui la réplique “il a pris deux cartes” est même en train de remplacer “il a des cartes biseautées” dans la bouche du profane.
“Pour connaître l’avenir, il suffit de regarder le passé”
et faire le parallèle avec l’évolution de l’informatique :
Première époque
Tout comme les informaticiens en blouse blanche, les magiciens en frac imbus de leur ‘Reine des Arts’ (quelle présomption, soit dit en passant) tentent tout d’abord de se protéger dans leur tour d’ivoire.
La “Lettre AFAP” a suggéré de réserver la vente de faux pouces aux seuls magiciens patentés et le copyright a tendance à dépasser la mise en scène pour protéger simplement l’effet chez certains marchands de trucs.
Si Apple avait gagné son procès contre Microsoft (Windows étant un plagiat du Macintosh), l’informatique n’aurait jamais percé aussi rapidement.
Deuxième époque
Dans un second temps, le grand public se dit : “C’est trop cher, moi aussi, je peux le faire”. Tout le monde s’est ainsi mis à l’informatique.
Les entreprises ont décidé de fabriquer leur bulletin et gérer leurs fichiers clientèle en interne. Aujourd’hui, pratiquement tout le monde a fait machine arrière.
Les pertes de fichiers, la cacophonie des caractères, les fonds de pages bariolés et les textes en caractères microscopiques truffés de coquilles exaspèrent plus qu’ils n’amusent.
On dit qu’un bon ouvrier a de bons outils mais à l’inverse, de bons outils n’ont jamais garanti la compétence !
L’arsenal magique n’est qu’une boîte à outils, un moyen d’expression pour l’Artiste. Vouloir protéger son marteau est illusoire.
Il est préférable d’apprendre à mieux s’en servir.
Ainsi donc, le grand public s’est mis à la magie, notamment celle des cartes. La plupart ont juste visionné des vidéos achetées dans les supermarchés ou bien assisté aux performances de leurs camarades d’école.
Dans un public, il n’est plus rare de repérer un spectateur ayant eu vent de la levée double et du comptage Elmsley.
Quelques uns s’y sont même essayés mais ont renoncé devant l’Elmsley qui demande un peu de travail. Dommage car une fois maîtrisé, il est bien rare de le louper.
Au contraire, la levée double est immédiate d’apprentissage. Malheureusement, c’est une passe fort difficile à maîtriser et je la vois ratée dans 95% des cas !
Le pire est que la levée double arrive largement en tête des passes employées en cartomagie moderne et cela conduit à un débinage important.
Troisième époque
C’est justement le moment où s’effectue la prise de conscience du gouffre séparant un outil et son emploi.
Les utilisateurs de l’informatique ne sont plus dupes et refusent d’employer des logiciels peu conviviaux.
Les produits bas de gamme se vendent mal, on revient à la sous-traitance et on ne rechigne plus à payer le logiciel plus cher que le matériel, c’est-à-dire la matière grise plus que l’outil.
La magie va suivre le même chemin. Le profane aura certes connaissance de certains principes mais saura reconnaître l’habilité et la présentation.
Qui va pâtir de cette évolution : les mauvais magiciens et les nouveaux adeptes du ‘Bizarre Magic’ (si, si, vous savez, ceux qui font de la prestidigitation sans DIRE que c’est de la prestidigitation, ni OSER l’écrire dans les revues de nos confrères).
Il sera plus difficile de faire prendre au chaland des vessies pour des lanternes et nous serons davantage respectés.
Qui s’en plaindra ?
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