Seconde partie : Le Techno-Classique
VM : Tu possèdes un parcours atypique qui a sans doute influé sur tes choix artistiques, peux-tu nous résumer ce parcours ?
LB : Atypique ?
Je vais te décevoir, j’ai commencé la magie en recevant la boîte de Garcimore à Noël…
VM : Bon, on change de question… Quel est ton parcours personnel ? Tu es sans doute l’un des rares magiciens qui aient fait des études, non ?
LB : [Rires] Mon père souhaitait que je fasse de l’audit. J’ai donc passé mon Bac C et je me suis plongé dans la finance pendant deux ans, puis je suis parti aux Etats-Unis pour passer ma licence en Business.
Dès le lendemain de mon arrivée à Boston, j’ai rencontré Hank Lee, l’un des plus grands marchands de magie américains.
Il m’a engagé dans la foulée comme démonstrateur au comptoir de la boutique, puis pour un travail d’«assistant manager ».
J’y suis resté un an et demi. J’en ai retiré deux apports essentie
ls : j’avais tout le savoir magique à portée de main (stocks de livres, vidéos, etc.) et ma culture magique a fait un bond à ce moment-là. J’ai acquis une bonne partie de mon savoir magique grâce aux entrepôts de Hank !
Ensuite, j’ai rencontré beaucoup de professionnels qui passaient par le magasin et qui travaillaient dans le milieu des trades-shows (salons commerciaux) pour Coca Cola, Chevrolet, General Electrics, etc.
C’est à ce moment que j’ai réalisé que la magie pouvait vraiment être une profession et que l’on pouvait bien en vivr. ?
Je suis ensuite revenu en France pour faire l’armée. Une fois officier de réserve, j’ai eu la possibilité de m’essayer à la spécialité « officier-commando», et tester le terrain, faire des excursions de nuit, etc. J’ai ensuite fait un stage de deux semaines pour passer mon brevet militaire de parachutiste.
VM : Tu faisais de la magie entre deux commandos ?
LB : Je possédais toujours un jeu de cartes sur moi !
Tout cela a duré 10 mois. Je suis ensuite retourné aux études : Ecole Supérieure de Commerce de Montpellier. C’est à cette époque que j’ai commencé à prendre des cours de danse.
VM : D’où te vient cet intérêt pour la danse ?
LB : Cela vient de ma rencontre avec un grand magicien américain, Jeff Mc Bride, qui m’avait dit très tôt : tes manipulations sont correctes, le niveau technique est bon mais si tu souhaites occuper l’espace scénique de façon artistique et avoir de la présence, la seule discipline qui puisse t’aider, c’est la danse.
Fais de la danse classique pour ton placement, du jazz pour l’énergie.
Je me suis donc essayé à tout ça, à raison de 6 à 7 cours par semaine. Je me suis trouvé ridicule au début ! J’étais le seul garçon, je pataugeais dans un univers qui m’était totalement inconnu.
J’ai persévéré dans ce domaine en prenant ensuite des cours dans une école de pros à Montpellier. Là, j’ai pu vraiment voir des gens travailler leur physique à un haut niveau.
VM : Une fois ton MBA en poche, tu es passé pro ?
LB : J’y pensais depuis l’âge de 18 ans déjà ! Après mes études, je suis rentré en Haute-Savoie et j’ai commencé à travailler régulièrement en close-up (magie de proximité). Cette expérience a été très enrichissante. J’essayais de trouver des tours personnalisés pour les clients qui m’avaient engagé.
Je me rendais compte que cela marchait bien. C’est à ce moment que j’ai songé à monter sur Paris, mais avant, j’ai continué la danse et passé un an à Annecy, où je me suis inscrit dans une école de danse : 14h de cours par semaine, et les close-ups le soir pour pouvoir vivre et financer tout cela.
Parallèlement à cela, j’ai continué l’entrainement pour mon numéro de scène.
VM : Comment s’est bâti ton numéro ?
LB : Progressivement, grâce à la danse, à des échéances que je me fixais, et aux conseils de magiciens éminemment respectables.
J’essaie d’écouter tout ce qu’on me dit.
On a toujours quelque chose à apprendre, même d’une critique dégueulasse !
J’ai autant appris des magiciens qui rejetaient ou critiquaient mon style que de ceux qui le trouvaient novateur mais aussi et surtout du regard d’autres artistes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler (jongleurs, acrobates, mimes, comiques etc.)
VM : J’aimerais revenir sur le titre de l’interview : le « techno-classique ». Tu fais incontestablement partie de ceux qui dépoussièrent la magie de scène et qui insufflent une nouvelle énergie dans la manipulation des cartes, mais tu pratiques en même temps un répertoire et des figures (productions de cartes, etc.) vus et revus sans cesse depuis 50 ans au moins. Comment allies-tu ces deux époques ? N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir dépoussiérer une discipline tout en continuant à présenter ses effets les plus classiques ?
LB : Effectivement, tout comme la jonglerie ou d’autres arts du cirque, nous évoluons dans une discipline ancestrale et à moins d’être un génie visionnaire, nous ne pouvons en changer que la forme. Le seul vrai changement que l’on peut apporter, c’est sur le fond.
Je n’ai plus envie de rester figé sur ce que nous appelons la magie.
Dans le répertoire magique, je ne sais pas jusqu’à quel point on peut trouver des effets entièrement nouveaux, mais sur la présentation, on peut vraiment révolutionner les schémas classiques du magicien.
Il y a trois schémas classiques :
- le magicien omnipotent (qui a tous les pouvoirs),
- le magicien qui est spectateur de sa magie,
- le magicien victime de sa magie.
Le premier schéma vieillit très mal ! Je me tourne dorénavant plutôt vers d’autres optiques.
Pour cela j’ai donc décidé d’élargir mes horizons artistiques, en plus de la danse. Me replonger dans un univers où le langage des images est dominant. Je m’inspire de tout ce qui me fait vibrer :
- la musique, vecteur de l’émotion (et pas le dernier truc à la mode),
- la danse pour dégager une sensualité, un charisme corporel,
- le théâtre pour mettre en scène, contextualiser, habiter un personnage pour mieux communiquer une émotion, une ambiance
- un œil extérieur et visuel de chorégraphe et de metteur en scène qui saura créer des images fortes, choquantes ou esthétiques dans la tête des spectateurs.
J’ai encore beaucoup à apprendre, et c’est cette soif de découverte de nouveaux horizons, de rencontres et de partage qui donne un sens à ma vie.
Merci à Michel FONTAINE pour la relecture, Stéphane KERRAD pour les photos et Philippe COMTE pour la mise en page.
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