D’un point magique, quelle est la chose dont tu es le plus fier ? Et le moins ?
Je suis fier d’exercer un métier, l’un des rares où l’on s’amuse en travaillant. Fier de mon métier/passion, et d’intéresser, amuser et à la fois faire rêver les gens. Ne dit-on point : « Quel bonheur d’avoir pour métier sa passion » ?! Je suis plus artiste que commercial. Les gens généreux font de mauvais commerçants. Et j’avoue que j’appartiens à cette catégorie. Peut-être est-ce cela qui ne m’a pas permis, dans le monde magique, d’occuper une place plus en rapport avec mes ambitions et mon bagage technique.
Quel est le tour de ta création dont il est le plus fier ?
Il n’y a pas un effet, en particulier, pour lequel je sois le plus fier. Je suis assez exigeant avec moi-même, jamais entièrement satisfait, et je crois que chaque tour, aussi intrigant qu’il soit est susceptible de perfectionnement. Je remets souvent en cause mes créations. Mais lorsqu’un public de profanes ou de magiciens applaudi à la fin de ma prestation, je suis fier de tous mes tours qui s’enchaînent au point où on ne peut les différencier l’un de l’autre. Je suis fier d’avoir fait honneur à mon personnage et à la Magie. On est fier d’un ensemble de choses, et un tour n’est que le rouage d’un mécanisme qui fait appel à des impératifs de présentation, de personnalité, de langage et de communication avec son public. On ne peut dissocier ces facteurs sans lesquels un artiste ne serait qu’un simple démonstrateur. Je suis partisan de : une technique un effet !
Quel est le tour que tu n’as pas inventé que tu préfères voir faire ?
J’adore voir travailler des confrères. J’oublie simplement que je suis moi aussi magicien. Je désire rester un spectateur absolu qui prend un réel plaisir à savourer les « miracles » qui me sont présentés. C’est le meilleur moyen de les apprécier et de s’imprégner de la poésie qui en résulte. Quand un cartomane me montre une routine de carte déchirée et reconstituée, c’est vrai que je suis presque jaloux de ne pas avoir pensé moi-même à la méthode, tant cet effet est magique, grandiose et d’un impact terrifiant sur le public. Je ne me lasse jamais de ce grand classique. s’il est réalisé avec compétence et bien enlevé.
Est-il encore possible de te bluffer ? Si oui, quelles sont les personnes qui l’aient récemment fait ?
Peut-on encore me bluffer ? Mais bien sûr que oui ! Et j’en prends plaisir. Qui peut prétendre tout connaître ? Tout savoir ? Tout avoir étudié ? La vie est un perpétuel apprentissage. Aucun magicien, à ma connaissance, n’est parfait. On approche la perfection, mais elle reste toujours le but à atteindre. Quand Patrick DESSI, il y a un mois, m’a montré sa nouvelle cassette «Techniques cartomagiques» j’ai été bluffé autant par l’ingéniosité que par la simplicité avec laquelle il utilise de nouveaux artifices et mouvements qui sont à même de surprendre les plus blasés. Etre bluffé c’est nous inciter à perfectionner nos connaissances en nous disant que, somme toute, il nous reste encore bien du travail à accomplir.
Qu’est-ce que tu aimes dans la magie et ce que tu n’aimes pas ?
En magie, je regarde d’abord le personnage. Il doit être agréable, convivial et non infatué de sa personne ; il doit donner une impression de complicité avec le public, plutôt que de faire montre d’un orgueil souvent déplacé ou d’une supériorité ostentatoire. A égalité de travail, ne préfère-t-on pas mieux dire d’un magicien : «Non seulement il est très capable mais il possède une gentillesse qui est toute à son avantage» plutôt que : «Il est très fort, mais il ne se cache pas de le faire sentir. Il est imbu de son personnage». A la limite, nous autres magiciens, devrions adopter une attitude «d’humilité onctueuse» presque pour nous faire pardonner de tromper si adroitement notre public. Et là, le pari est gagné !
-«C’est bien agréable d’être important, mais c’est plus important d’être agréable»- telle devrait être la devise du Magicien. Mais là, il y aurait beaucoup à dire.
Si tu devais emmener sur une île déserte un seul ouvrage magique, lequel serais-ce ?
Si je devais emporter sur une île déserte un seul ouvrage magique ce serait «La technique Moderne aux Cartes» de HUGARD. Un livre jamais démodé. (Pour les cartomanes, bien sûr).
Quels sont tes magiciens préférés et pourquoi ?
Les magiciens qui m’ont le plus impressionné : Dai VERNON, Harry LORAYNE, Franck GARCIA, Ron WILSON, avec lesquels j’ai eu l’occasion de passer des soirées de Magie inoubliables lors de rencontres mémorables sur les hauteurs de Nice, au domicile de Monsieur FILAHO. Des gens charmants avec lesquels j’ai travaillé des heures et en toute simplicité partagée. Sans oublier mes Amis de longue date : Aldo COLOMBINI, Juan TAMARIZ, Roxy, Liebenow, Patrick DESSI, Armand PORCELL. Tous possèdent une personnalité affirmée et un talent confirmé. Mais que de gentillesse dans leurs rapports.
Peux-tu nous en parler ? Comment M. FILAHO arrivait-il à réunir une assemblée de cette classe ? Comment les réunions se passaient-elles ? As-tu des anecdotes à nous raconter ?
Monsieur FIALHO était un personnage atypique dans le domaine du close-up et de la cartomagie. Il n’était pas, à proprement parler, un inventeur ; cependant il connaissait une quantité impressionnante de routines et de techniques dont il héritait de tous les magiciens qui venaient résider quelques jours en sa villa, à Aspremont, sur les hauteurs de Nice.
Ce monsieur possédait certainement une des plus grandes collections de K7 vidéo et de films super 8 sur les manipulateurs les plus réputés dans le domaine de la magie de table.
Financièrement très à l’aise (il possédait plusieurs magasins importants de souvenirs religieux à Lourdes, il n’hésitait pas, dans les Congrès, quand il assistait aux conférences ou aux concours mondiaux de l’Illusionnisme, à inviter, tous frais payés, (séjour + avion) une semaine chez lui, les magiciens (surtout américains) pour apprendre les tours auxquels il avait assisté, et qui l’avaient particulièrement marqué. Les plus grands noms sont passés par Aspremont ; et là, il filmait tout, en échange du séjour gratuit.
J’ai eu la chance (l’opportunité) de le rencontrer à Paris, au Congrès Mondial de 1973, et nous avons sympathisé. Il a été intéressé par les deux routines de ma prestation qui m’ont permis d’obtenir le 2ème prix mondial de cartomagie. Il m’a invité chez lui à plusieurs reprises en me disant, à chaque fois, – « André, tu seras en compagnie de beau monde ».
Voilà comment j’ai eu ce privilège de côtoyer de très près, et dans d’inoubliables séances de cartomagie et de close-up, messieurs VERNON, GARCIA, LORAYNE, WILSON et quelques autres.
Ces rencontres se déroulaient en juillet et en août ; nous dînions près de sa piscine privée, et ensuite, jusqu’à 2 heures ou 3 heures du matin, chacun montrait ses tours et ses techniques. Je dois dire que la première fois j’ai été très impressionné, mais l’ambiance très décontractée aidant, je me suis enhardi, et j’ai, comme les autres (mais à un moindre niveau à l’époque) montré le meilleur de mes routines. Tout le monde participait et expliquait ensuite, dans le détail, le fruit de ses cogitations. Que de choses merveilleuses j’ai appris, et que cela m’a aidé à me perfectionner.
Je me souviens que mon changement de carte instantané « subit », réalisé d’une seule main avait particulièrement intéressé Dai VERNON qui me disait que « je n’étais pas un être normal pour avoir imaginé une chose pareille, et que mes doigts devaient être disloqués». Je me rappelle aussi de Frank GARCIA qui avait été émerveillé par mes filages à répétition, d’une ou plusieurs cartes. (Depuis cette époque, le filage m’est devenu une spécialité, et j’en place une bonne dizaine au cours de deux ou trois tours de cartes).
En ce qui concerne Aldo CLOLOMBINI (FABIAN), je l’ai connu alors qu’il n’était pas encore professionnel et tandis qu’il résidait à MODENA, en Italie. Il m’a souvent reçu chez lui, lors de mes tournées de conférences, et il en était de même de mon côté lorsqu’il venait en France. Nous avons à peu près la même manière de travailler, et un conception identique sur la pratique poétique de la cartomagie. Il a été un excellent (et un des tout premiers) collaborateur à ma publication CARDINI CLUB REVUE, tout comme l’allemand Erhard LIEBENOW, une très fine carte, qui excellait dans les tours avec le faro, mais qui avait aussi un étonnant numéro avec les cannes (volantes et à apparitions/disparitions).
Nous nous sommes également rencontrés lors de concours de cartomagie (ou nous étions concurrents mais néanmoins amis). Tous ces congrès (il ne faut pas oublier que j’ai présenté 15 concours et remporté onze prix) étaient l’occasion de connaître les plus éminents spécialistes des années 70 à 80. Ce fut le cas avec ROXY, Tony BINERELLI, Camillo VASQUES, Piet FORTON, etc… Après nos prestations, nous nous rencontrions dans le chambre d’hôtel de l’un ou de l’autre et nous continuions à taper le carton jusqu’à des heures assez avancées de la nuit.
Juan TAMARIZ fait partie de ce petit aréopage de mes Amis. Il m’a invité plusieurs fois à « ses journées cartomagiques de l’Escorial de Madrid » et je me souviens qu’avec lui, notre manie était de nous montrer le plus de routines possibles et personnelles sur un tour très en vogue à ce moment là (mais qui l’est toujours) : «oil and water».
Tous ces magiciens cités, qu’ils soient américains, allemands, espagnols, suisses ou italiens m’ont tous donné leur accord pour publier des tours extraits de leurs livres (ou revues) et m’ont fait parvenir des effets imaginés spécialement pour ma publication CARDINI CLUB REVUE. Quelques uns de mes livres sont à la bibliothèque magique du «Magic Castle», grâce, notamment à Frank GARCIA. J’ai été publié dans des livres américains, par Harry LORAYNE, et en Angleterre dans des revues où Aldo COLOMBINI et moi avions une rubrique attitrée. Je figure également dans «The Ganson Book» de Lewis GANSON.
Quant à Armand PORCELL et Patrick DESSI, nous nous sommes rencontrés aux réunions des «Magiciens de Provence», anciennement «Club Robert-Houdin de Marseille». Comme moi, il s’agit de deux «givrés» des cartes. Nous avons élargi ensuite le champ de nos rencontres à mon domicile où nous passions, et où nous continuons à passer régulièrement des soirées consacrées entièrement à la magie des cartes. J’ai beaucoup d’admiration pour ces deux cartomanes, car ils apportent une grande finesse et une pureté de gestes dans leur travail, qui leur vaut un aboutissement artistique remarquable et très personnalisé. De plus, comme tous les grands artistes, ils ont su rester simples et n’hésitent pas à faire profiter de leur savoir tous ceux qui désirent se perfectionner. Quitte à passer des heures dans les explications. Ceci est exceptionnel !
Je connais Armand PORCELL depuis au moins 30 ans. Il a été tout le temps à mes côtés, et l’un des membres fondateurs de C.C.R. J’ai toujours pu compter sur son concours, soit pour ses propres tours, soit pour les traductions en espagnol.
Pour en revenir à monsieur Philippe FIALHO, il prenait quelques photos, mais je n’ai jamais réussi à en avoir une. Je lui ai demandé également de me faire des copies de films de mes démonstrations sans obtenir plus de résultat.
Des regrets ?
Que mon fils s’intéresse à la Musique plutôt qu’à la Magie.
Si tu avais 3 conseils à donner à un jeune magicien débutant, lesquels lui donnerais-tu ?
Si j’avais trois conseils à donner à un jeune magicien débutant ce serait :
- En magie, comme en musique, il y a les créateurs et les interprètes (comme aime à le préciser Patrick DESSI). Sois d’abord un bon interprète, et le temps te permettra de devenir, peut-être, si tu ne t’ai pas découragé d’ici là, un créateur toi aussi.
- Étudie ton personnage. Il faut que tu saches faire la différence entre connaître un tour et savoir le présenter. Dans le premier cas tu ne seras jamais qu’un démonstrateur, dans le second tu deviendras un artiste.
- En Magie si c’est celui que tu désireras être, tu ne le seras jamais, si c’est celui, tout simplement, que tu représentes, tu le seras toujours. (A méditer.)
Tu as déjà écris beaucoup de livres. Quels est t motivation pour vouloir encore et encore coucher par écrit et diffuser tes créations ?
J’ai écris plus d’une quinzaine d’ouvrages, plus animé d’un véritable dilettantisme et d’une passion de faire partager mes connaissances au plus grand nombre que par un état d’esprit mercantile. D’où le choix de publications plutôt artisanales, sans prétention de papier ou de reliures luxueuses, mais à des prix susceptibles de satisfaire toutes les bourses. Je ne travaille pas pour les collectionneurs, mais pour tous les autres. Faire partager ses secrets est l’âme de la connaissance.
Quelle question te pose-t-on tout le temps (dans un cadre magique, bien sûr) ?
Les questions qui reviennent souvent aux lèvres des magiciens qui me voient travailler en conférences devant les confrères, ou en situation, devant les profanes sont :
«André, avec tes filages tu baises tout le monde !»
«Mais comment fais-tu pour en placer autant alors qu’on te connaît et qu’on te surveille constamment».
Quelle question n’aimerais-tu pas que l’on te pose ? Quelle serait la réponse ?
La question que j’appréhende qu’on me pose et qui pourtant m’a été de nombreuses fois formulée : – «André, tu es un cas clinique de la cartomagie.»
Dans tous les cas ma réponse a été la même : « Il n’est pas nécessaire d’être dingue pour faire de la magie. mais ça aide beaucoup ! »
Tes Projets ?
Continuer à animer 3 soirs par semaines 3 restaurants en Dîners/spectacles (payés par les Directions). Je n’ai rien contre les artistes qui font la « manche », mais je n’ai pas l’audace voulue. De plus, je tiens à ce que les clients sachent que je fais partie du personnel : (il y a les serveurs et les Maîtres d’hôtel qui font apparaître les plats, et André Robert qui fait disparaître les choses).
J’ai deux livres sur la cartomagie (évidemment) en préparation : l’un pour l’an prochain, l’autre pour 2004. Je continue à enseigner à mon Ecole de Cartomagie sur Marseille. Par contre, j’ai un peu levé le pied en ce qui concerne les conférences car je désire de plus en plus travailler pour le public et de moins en moins faire la même chose devant les magiciens. La magie n’est pas la même : je préfère la première.
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