3. Close-Up: Contre-Vérités
ou comment réussir en close-up en prenant les conseils à contre-pied
Le close-up est à la mode, popularisé par les médias grâce à David COPPERFIELD, Bernard BILIS, Gilles ARTHUR, Sylvain MIROUF, Pierre BARCLAY.
Les conférences relatives à ce type de magie ont explosé. Aujourd’hui, tout le monde se doit de faire de la magie rapprochée; moi aussi !
Cela commence généralement par un coup de fil d’une agence :
“Bonjour Monsieur, nous recherchons des clauzoupes qui pourraient faire de la magie aux tables, vous avez quelque chose à proposer ?”
Que vais-je répondre ? La vérité comme :
“Vous savez, en cette fin de siècle où les gens souffrent de la solitude, je me propose de les faire communiquer entre eux à table, de m’amuser en même temps qu’eux, de transformer la vie en franche rigolade pendant quelques minutes. Avec quoi, avec des ballons, ce qui se trouve sur la table, peu de magie en fait.”
Eh bien non, je vais mentir :
“No problem, Madame, je suis magicien, je sais faire les tours que l’on voit à la télé dans le style Pignouf. Voulez-vous que je vienne dans votre bureau vous faire une démonstration de mon interlaced vanish rétro-répro où les quatre as signés par le spectateur viennent s’intercaler entre les rois, se retournent puis disparaissent dans la foulée avant de revenir dans mon portefeuille !”.
L’argument massue fait mouche comme l’atteste la réponse :
– “Bon, ça colle avec notre objectif et notre image et quelle sera votre tenue ?”
– “Le smoking, Madame, très classe, vous verrez”
– “C’est parfait, rendez-vous demain, il y aura d’autres magiciens, un pour dix tables comme on nous l’a conseillé”.
Le lendemain, rencontre avec mes confrères (l’univers de la micro-magie est vraiment un microcosme clos).
Tous en smoking, jeu de cartes en mains pour camoufler une certaine fébrilité. On entend :
– “Tiens, salut, qu’est ce que tu fais ce soir ?”
– “Les balles mousse, le jeu invisible, mais avec des variantes originales”
– “Ah, toi aussi, si j’avais su. De toutes façons, on va se partager les tables. On commence après la viande, c’est mieux”
Je me tiens à l’entrée, en smoking certes mais affublé d’une étrange cravate en poisson qui intrigue les premiers arrivants, tandis que mes collègues restent prudemment cantonnés dans leur loge de peur d’être confondus avec les serveurs.
Ne riez pas, cela arrive plus souvent qu’on ne le pense.
C’est l’apéritif, mortel pour tous les convives qui se regardent en chien de faïence. Selon moi, le meilleur moment pour intervenir.
Ils n’ont pas encore construit de bulle protectrice autour de leur table et il faut briser la glace.
Je visite rapidement TOUTES les tables, présentant par exemple mon raton laveur animé comme le plat du jour (effet choc garanti).
Pendant ce temps, nos magiciens commencent à s’impatienter du retard que prend le repas ou de l’orchestre trop bruyant.
Les tables sont maintenant presque garnies. Je passe à nouveau entre les tables, en révélant des surprises dissimulés sous les serviettes, cendrier, puis dans les vestes (chasse aux pièces). Le commanditaire est content.
Toutes les tables m’ont déjà vu deux fois et les “incidents” ont catalysé les conversations. Pendant ce temps, d’autres se demandent quand ils vont enfin pouvoir justifier leur cachet !
La viande arrive enfin !
Les tables les plus réceptives m’appellent déjà. C’est l’occasion d’un gag rapide, par exemple, la viande mal cuite qui couine quand on la touche. Et là tout le monde entend et se marre. On débarrasse les plats, il faut y aller.
Comment les déranger dans leurs conversations, surtout avec un tapis et des cartes, sans friser le ridicule ?
J’ai toujours un immense respect pour la gêne de mes confrères qui ont pris conscience de l’extrême incongruité de la chose.
La table voisine m’observe du coin de l’œil d’un air entendu mais déchante rapidement lorsque je passe devant elle sans un regard pour exercer quelques mètres plus loin.
Lorsque je repasserai, c’est tout juste s’ils ne m’arracheront pas le bras de peur de n’avoir pas eu les honneurs de l’artiste. Le commanditaire qui a tout entendu, placé à la table principale, vient déjà s’assurer que je ne les oublierai pas.
Il est vrai qu’il est difficile de résister quand on a débarrassé un coin de table pour vous et préparé une coupe de champagne.
Je pourrais sortir mes cartes mais il faut travailler pour l’ensemble de la table. On entend les partisans de la magie rapprochée répéter
“Voyez mes mains remuer, encore plus près. C’est étonnant car on ne voit rien !”
dont là l’interprétation freudienne serait
“Regardez ce que je fais, pas ce que je suis”.
Dans ce style, il sera difficile de dépasser VALLARINO qui, lors du concours mondial de la FISM à Lausanne en 1991, se dissimula derrière un écran total ne laissant apparaître que ses mains.
Un ballet sans paroles exécuté à la perfection qui lui a valu d’être primé.
Faut-il encore le répéter : c’est vous qui êtes important, pas ce que vous faites.
“You are the magic”
martelait feu Albert GOSHMAN.
Je vois là la raison de la vogue actuelle du close-up, non auprès du public, mais surtout auprès des apprentis magiciens : concentrés sur leurs mains, ils s’imaginent que le spectateur fera de même et oubliera leur apparence.
Cruelle illusion !
Un de mes collègues a résolu le problème de l’approche en inversant le problème : il s’est fait installer une table dans un coin et patiente en espérant que ses masturbations cartomagiques attireront le chaland.
La magie des cartes sur table est supérieure à la magie des cartes en main, dit-on.
Je pense que le jour où les clauzeupes men se lèveront, le public ne pourra faire moins que de leur accorder une standing-ovation.
Certains l’ont déjà compris.
Juan TAMARIZ présente son show de close-up sur scène.
L’australien Tim ELLIS, déjà primé en magie comique à Lausanne, a refait son même numéro des six cartes au concours de close-up à Yokohama en montant sur la table !
Lors du Mayette Days, Gary KURTZ a fait un one-man show de close-up sans jamais s’asseoir.
Il a occupé toute la piste du cirque d’hiver, était constamment entouré et a fait venir auprès de lui des personnes du public dans le plus pur style de la magie de rue. Enfin le close-up doit-il être de la manipulation ?
Michaël WEBER (qui ne s’est jamais assis non plus d’ailleurs) a obtenu un franc succès au gala de close-up de la FISM avec un tour de pâte à modeler et quatre clous plantés sur une planche.
Des idées, de l’originalité et du bagout mais aucune passe supérieure au tourniquet.
Donc un tour idiot mais qui fait participer toute la table, voire la table voisine par la même occasion, est très efficace.
Certains s’arrangent pour ne pas être vu des autres tables. C’est inutile si vous faites des tours différents chaque fois.
Si vous n’avez pas plus de trois tours canons dans votre répertoire, arrêtez la magie tout de suite !
Très souvent, une table réunira des convives d’une autre nationalité.
Vous la repérerez par le fait que vos confrères n’y feront qu’un court passage ou vous signaleront l’obstacle.
Si vous parlez leur langue, ne vous privez pas !
Ils y seront extrêmement sensibles et les applaudissements y seront chaleureux.
(Pendant ce temps là, mon confrère termine péniblement sa première table où seulement deux convives ont pu tripoter ses éponges).
Vient le moment du dessert.
Là vous pouvez y aller sans retenue. Revenez à la table qui vous a réservé le meilleur accueil, faites lever la personne de votre choix (il ne demande que cela pour faciliter son transit intestinal) et faites lui les boulettes Slydini ou le couteau à travers la veste.
Là, la moitié de la salle au moins vous voit. pour la quatrième fois !
Soyez gentil, ne choisissez pas la moitié où opèrent vos confrères.
La fin de la soirée approche.
Certains commencent déjà à danser. Un collègue commence à paniquer : l’éclairage tamisé rend aléatoire toute distinction entre les rouges, les noires et les taches de graisse tandis qu’il s’égosille à couvrir l’orchestre pour expliquer son “l’huile et l’eau” devant deux malheureux convives trop las pour aller guincher.
Il faut maintenant laisser un peu la magie de côté et parlez avec eux.
Dans ce métier, avoir de la culture générale est AUSSI IMPORTANT que les connaissances magiques, croyez-moi. Cela fait partie de votre travail et c’est à ce moment que d’autres opportunités de travail s’ouvriront.
Bien, j’espère que tout ceci aura ouvert des horizons à tout ceux qui n’ont aucun espoir de remporter un prix dans un concours de close-up.
Ah oui, il serait injuste de vous quitter sans citer celui qui est à l’origine de cette approche du close-up : Didier RATCEKOU.
Lorsque vous entrez dans un restaurant et que deux ans après on vous relate les exploits du petit rigolo qui tordait les cuillères, s’emparait des montres et buvait dans les coupes à glaces, cela donne à réfléchir.
Be an entertainer not an emmerdeur, that is the answer to the question.
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